Comment être dans le troupeau du Christ ?
4PAC
4° Dimanche de Pâques - Année C (Messe de la Bravade de Fréjus)
Ac 13,14.43-52 ; Ps 99 ; Ap 7,9.14b-17 ; Jn 10, 27-30
Le quatrième dimanche après Pâques, l’église lit un passage de l’évangile où Jésus se décrit comme le Bon pasteur. C’est une heureuse coïncidence du calendrier qui nous fait méditer aujourd’hui sur le titre utilisé par Saint François de Paul dans sa dernière prière : « Ô Jésus, bon pasteur, conservez les justes, purifiez les pécheurs, ayez pitié de vivants et des morts et soyez-moi propice à moi qui suis un pécheur ».
Mais cette année, peut-être pour nous stimuler, la deuxième lecture vient un peu brouiller les pistes. Jean voit une foule immense, de tous peuples et nations … on pourrait l’imaginer comme une sorte de bravade universelle et éternelle ! Mais l’Ancien explique à Jean ce qu’il aperçoit et lui dit : « L’Agneau sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie ». Étonnant ! Le pasteur est un agneau ! On sait que l’Apocalypse aime les images frappantes, on sait aussi que c’est le Christ qu’on appelle l’Agneau de Dieu … mais le rapprochement est significatif : le Seigneur nous guide et nous protège de l’intérieur, en se faisant l’un de nous pour que nous puissions partager sa vie. Car c’est bien ce que Jésus dit dans l’évangile : « je leur donne la vie éternelle ». Et l’on comprend alors pourquoi le thème du Bon pasteur est évoqué dans ce temps de Pâques : le Christ est ressuscité pour que nous puissions avoir la vie éternelle. Encore faut-il que nous l’acceptions comme pasteur, que nous acceptions de faire partie de son troupeau.
Comment faire partie du troupeau ? Jésus explique : « mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent ». Voilà en quelque sorte les trois conditions pour faire partie du troupeau du Bon pasteur, les trois conditions pour être chrétien.
Tout d’abord, il s’agit d’écouter sa voix. Et déjà cela nous interroge : quelle voix écoutons-nous ? Lorsque François de Paule débarque à Fréjus, il est en route pour rejoindre le roi de France Louis XI qui espérait bien une guérison. Mais en arrivant à la cour, le saint l’invite à une conversion : « Sire, il faut vous en remettre à la divine Providence […] mettez en ordre ce que vous avez de plus précieux qui est votre conscience ; car il n’y a point de miracle pour vous. Votre heure est venue, il vous faut mourir ». Le message est rude, on a connu plus compatissant ! Pourtant c’est une manière de lui dire : ne vous préoccupez pas que Dieu écoute votre voix, préoccupez-vous d’écouter la voix de Dieu ». Bien souvent, nous sommes plus attentifs à écouter la voix de nos émotions ou de nos réflexions, ou alors on écoute la voix de la foule, des médias, de ceux qui parlent le plus fort. Mais ces voix sont comme une bourrasque qui déferle, alors que la voix du Seigneur est le murmure d’une brise légère. D’une bourrasque on se protège, d’une brise légère on reçoit fraicheur et soulagement. Notre première attention devrait être d’être attentif à écouter la Parole de Dieu, par la lecture de la Bible, par la prière, par le discernement pour chercher à faire ce que le Seigneur nous demande.
Ensuite, Jésus déclare « moi je les connais ». Dieu nous connait, non pas comme une caméra de surveillance, mais comme le pasteur qui fait attention à chacun, qui nous connait personnellement. Il sait de quoi nous sommes capables, il sait ce qui est bon pour nous. Encore faut-il accepter de se laisser connaître par le Seigneur, accepter le regard de Dieu sur nous. Et l’on accueille se regard par un acte de confiance. Comme Mise Bertolo accueille l’affirmation du saint qui lui dit « allez leur annoncer que je suis venu pour leur faire du bien » comme cette nouvelle ranime la confiance des fréjussiens : « le Bon Dieu nous a fait miséricorde, un saint vient nous l’annoncer ». Il n’a pas fait de grands gestes, ni de démonstration extravagante, c’est la présence et le témoignage qui invite à la confiance et à la fidélité. La deuxième condition de la vie chrétienne c’est cette foi qui s’appuie sur la parole du Seigneur pour reconnaître sa bonté et sa fidélité, pour vivre une relation de confiance avec celui qui nous connait et que nous apprenons à connaître.
Enfin, il y a une troisième condition : « elles me suivent ». Dans la première lecture, nous avons un bel exemple de la nécessité de cette dimension. Ceux à qui s’adressent Paul et Barnabé « rejettent la Parole de Dieu et ne se jugent pas dignes de la vie éternelle » … Le signe que la parole est accueillie, c’est qu’elle est mise en pratique, c’est qu’elle transforme notre vie. Elle ne reste pas dans la sphère nébuleuse des belles idées ou des rêves inaccessibles, elle est un guide et un chemin, elle est un principe d’action. Suivre le Bon Pasteur c’est vivre la charité, la Caritas, devise que saint François de Paule a donné à l’ordre des Minimes. Car la charité nous entraine dans le mystère de Pâques, elle traverse les épreuves pour qu’elles ne soient qu’un passage, elle s’engage pour que la vie triomphe de la mort, elle s’implique pour que la paix triomphe des conflits. Charitas ce n’est pas juste le nom d’un pointu, c’est la direction qui nous est indiquée pour suivre le Christ, pour vivre le mystère de Pâques et se laisser entrainer au souffle de Dieu.
A l’exemple de saint François de Paule, demandons à la Vierge Marie de nous aider à reconnaître le Bon Pasteur en écoutant sa voix, en lui faisant confiance et en le suivant. Arche de la Nouvelle Alliance, qu’elle ouvre nos cœurs à sa Parole. Trône de la Sagesse, qu’elle nous apprenne à accueillir son regard sur nous. Mère du Bel amour qu’elle nous montre le chemin qui nous conduira jusqu’à la source de la vie, pour que nous puissions demeurer en Dieu comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.
N'oublions pas la vie éternelle
4PAC
4° Dimanche de Pâques - Année C
Ac 13,14.43-52 ; Ps 99 ; Ap 7,9.14b-17 ; Jn 10, 27-30
Le quatrième dimanche de Pâques, on lit toujours un évangile où Jésus se présente comme le Bon Pasteur. Cela fait partie des passages obligés dans la méditation du mystère de Pâques. Et le texte de cette année nous permet d’en comprendre l’importance : le bon pasteur conduit ses brebis à la vie éternelle. S’il peut donner la vie éternelle, c’est parce qu’il est ressuscité : c’est le mystère de Pâques qui permet à Jésus d’être le Bon Pasteur.
Car la foi chrétienne, c’est d’abord cela : recevoir la vie éternelle. C’est particulièrement frappant dans l’épisode de Paul et Barnabé à Antioche de Pisidie. Que dit l’apôtre à ceux qui le contredisent ? « Vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle ». Et que dit saint Luc qui raconte l’histoire : « ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants ». C’est bien la vie éternelle qui est en jeu.
Ainsi, tout ce que nous faisons et tout ce que nous vivons dans l’Église nous conduit à la vie éternelle … à condition qu’on ne l’oublie pas, évidemment ! La prière et les sacrements nous font goûter cette vie éternelle ; l’écoute de la parole et le témoignage nous entraînent à mieux connaître et à faire connaître la vie éternelle ; le service et l’engagement nous préparent à la vie éternelle. Mais cette vie éternelle ne se conquiert pas, elle se reçoit et elle se reçoit du Christ. Oh bien sûr, si les sacrements n’étaient que des cérémonies pour honorer ceux qui les demandent, on n’aurait pas besoin de prêtres, mais juste de metteurs en scènes et d’animateurs populaires comme on en trouve sur les radios ou les télévisions. Bien sûr, si la parole de Dieu n’était qu’une doctrine, on n’aurait pas besoin de prêtres, mais juste de professeurs qui sachent expliquer et préparer à l’examen de niveau qu’on chercherait à atteindre. Bien sûr, si la vie chrétienne n’était qu’un humanisme social et une concorde fraternelle, on n’aurait pas besoin de prêtres, mais juste de managers efficaces et de juges attentifs à garder tout le monde dans le droit chemin. Mais si les sacrements n’étaient qu’une cérémonie, si la Bible n’était qu’une doctrine, si la vie n’était qu’une morale … nous ne pourrions jamais obtenir la vie éternelle ! La foi et la vie chrétienne ne sont pas seulement des réalités humaines, elles sont d’abord des réalités divines qui nous conduisent à la vie éternelle sous la houlette du Bon Pasteur, le Christ ressuscité.
Et parce que cela pourrait être facile à oublier, le Seigneur, a voulu que certains soient le signe du Bon Pasteur : les évêques, et leurs collaborateurs, les prêtres et les diacres. Ils sont signes, non pas à cause de leurs qualités humaines, intellectuelles ou spirituelles – même si cela ne gâche rien. Ils sont signes parce qu’ils ont reçu la mission de l’être. Sans eux, une communauté chrétienne finirait pas oublier qu’elle est une partie du peuple de Dieu, que son but est la vie éternelle, que cette vie éternelle ne se conquiert pas mais se reçoit du Christ. Un diocèse sans évêque ou une paroisse sans prêtre finira par se concevoir comme une association, un cercle d’étude ou une bande d’amis.
La vie sacerdotale comme la vie religieuse manifestent au cœur de l’Église que nous sommes faits pour la vie éternelle. Tous sont appelés à la désirer, mais certains sont appelés à la manifester. Pourtant si Dieu appelle, c’est à l’homme de répondre. Ainsi le dimanche du Bon Pasteur est aussi le jour où l’on prie pour les vocations sacerdotales et religieuses. Il s’agit de prier pour que le Seigneur appelle, mais de prier aussi pour que des gens répondent. Car le Seigneur appelle toujours, mais les hommes ne répondent pas toujours. C’est devenu un lieu commun de déplorer le peu de vocations sacerdotales et religieuses dans notre pays. Encore faut-il que nous les encouragions. Et le véritable encouragement aux vocations, c’est de vivre notre vocation de baptisés, pleinement. Non pas comme un marqueur culturel, comme une opinion ou une philosophie, mais comme un appel à la vie éternelle. Les vocations sacerdotales et religieuses ne sont pas tant des choix individuels que les fruits de la foi, de l’espérance et de la charité d’une communauté. En cette année jubilaire de l’espérance nous avons l’occasion de remettre au centre de notre vie chrétienne le désir de la vie éternelle : ce n’est pas une affirmation désuète ou une hypothèse lointaine c’est le moteur de notre foi.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre la Parole de Dieu, à la laisser transformer nos cœurs et nos vies pour que resplendissent au milieu de nous les signes de celui qui nous donne la vie éternelle. Elle qui a su répondre à l’ange « je suis la servante du Seigneur, que tout se fasse selon ta parole », qu’elle nous rende disponibles à écouter le Christ et à le suivre. Elle qui a chanté les merveilles de Dieu dans le Magnificat, qu’elle nous soutienne dans la prière pour que nous soyons toujours plus fidèles à notre vocation. Elle qui a dit aux serviteurs de Cana : « faites tout ce qu’il vous dira » qu’elle nous accompagne sur les chemins que nous indique le Bon Pasteur, et qu’ainsi nous soyons, nous aussi remplis de joie et d’Esprit Saint. Le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !
Les états d'âme de Simon-Pierre
3PAC
3° Dimanche de Pâques - Année C
Ac 5, 27-41 ; Ps 29 ; Ap 5,11-14 ; Jn 21,1-19
Le temps de Pâques nous fait revivre les rencontres des disciples avec Jésus Ressuscité, et voilà que pour le troisième dimanche, il nous est donné d’entendre le récit de « la troisième fois que Jésus ressuscité des morts se manifestait à ses disciples ». C’était au bord du lac de Tibériade, au petit matin. Parmi tous les personnages de la scène, Simon-Pierre apparaît un peu comme un fil rouge. Si l’évangéliste s’est donné la peine de décrire ses différentes réactions, c’est sans doute pour que nous puissions le suivre et reconnaître dans ses différentes situations, autant de manières de rencontrer le Ressuscité.
L’histoire commence par la réflexion de Simon-Pierre : « je m’en vais à la pêche ». Bien sûr à Jérusalem, le Christ les avait rejoints dans la maison où ils s’étaient verrouillés par crainte de ceux qui avaient condamné leur Seigneur. Ils l’avaient vu une première fois, en l’absence de Thomas, puis, huit jours après, au même endroit, mais cette fois-ci Thomas était avec eux. Ensuite ? On comprend qu’ils ont quitté Jérusalem et sont retournés chez eux, en Galilée, au bord du lac de Tibériade, là où tout avait commencé pour eux. Et sans doute ils ne savaient pas bien trop quoi faire. Alors peut-être pour s’occuper, ils vont reprendre leurs habitudes et s’en vont pêcher. On les imagine un peu moroses, un peu désabusés, et pour ne rien arranger à la situation, ils s’affairent toute la nuit sans rien prendre. Jusqu’à ce qu’un type sur le rivage les interpelle et leur dise de jeter les filets à droite de la barque. La première manière de rencontrer le Christ ressuscité, c’est dans la routine. Une sorte de persévérance sans enthousiasme, où l’on fait ce qu’on a l’habitude de faire, de manière un peu mécanique. Dans un monde trop sensible au spectaculaire et aux émotions fortes, il est bon de se rappeler que le Christ nous rejoint dans l’ordinaire de la vie, que sa parole nous invite au cœur de nos routines, et que nos efforts laborieux nous disposent à accueillir la puissance de sa présence.
Puis, quand Pierre entend que c’est le Seigneur, il passe un vêtement et se jette à l’eau. Lorsque tous sont arrivés au rivage, à l’invitation de Jésus, il remonte dans la barque pour tirer le filet jusqu’à terre. On peut admirer l’empressement de Pierre à retrouver le Seigneur. Il y a une sorte d’exaltation un peu brouillonne. Comme s’il agissait sans beaucoup réfléchir ! Drôle de réflexe de se vêtir pour nager : d’habitude on fait plutôt le contraire, parce que c’est plus difficile de nager tout habillé. Et puis, une centaine de mètres à parcourir, il n’est pas sûr que ça ne soit plus rapide à la nage qu’en barque. Et c’était bien la peine de quitter la barque pour remonter ensuite ! Dans cette phase du récit, on voit bien que le but n’est pas de rechercher l’efficacité mais de goûter la présence du Seigneur, même si c’est de manière un peu désordonnée. La deuxième manière de rencontrer le Christ ressuscité c’est la joyeuse confusion de l’émotion. Ce que les maitres spirituels appellent la consolation. Quand l’exaltation prend le pas sur la raison, quand il ne s’agit plus tant de réfléchir ou de calculer, mais de vivre, de goûter, de profiter. Il y a des moments où il faut lâcher prise et se laisser entrainer par la présence du Seigneur.
Enfin, il y a le dialogue avec Jésus. Avec les trois questions « Simon fils de Jean, m’aimes-tu ? ». C’est un moment privilégié entre le disciple et le Seigneur, un moment précieux, même s’il y a une pointe de tristesse parce que Jésus lui demande trois fois la même chose, comme s’il doutait de la réponse de Pierre. On sait que dans le texte grec, ce n’est pas tout à fait la même chose. Que les deux premières fois, Jésus demande « est-ce que tu m’aimes d’un amour de préférence » et que Pierre répond par un autre mot en disant « je t’aime d’amitié ». Comme s’il descendait d’un cran dans l’amour par rapport à ce que Jésus demande. Mais peu importe. Cette troisième manière de rencontrer le Christ ressuscité, c’est la prière, le cœur à cœur avec le Seigneur. Ce n’est pas la routine, ce n’est pas l’exaltation, c’est la relation, avec son lot de confiance, d’affection, d’incompréhension et d’ajustement réciproque. Mais c’est aussi le couronnement des deux premières manières car c’est dans cette rencontre que la parole de Dieu indique notre vocation, qu’elle nous révèle ce pour quoi le Seigneur compte sur nous.
Au bord du lac de Tibériade, lors de la troisième apparition de Jésus ressuscité à ses disciples, Pierre le rencontre de trois manières : dans la laborieuse fidélité du quotidien, dans la joyeuse exubérance des retrouvailles, dans le cœur à cœur de la prière. Et nous ? En cette troisième semaine de Pâques, à quel type de rencontre avec le Ressuscité sommes-nous prêts ?
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous accompagne et nous fasse reconnaître la présence du Christ. Vierge fidèle, qu’elle nous apprenne la persévérance ; Mère du Bel Amour qu’elle nous fasse goûter la joie de la rencontre ; Temple de l’Esprit Saint qu’elle nous révèle la Parole que Dieu nous adresse, pour que nous puissions témoigner de la belle espérance de Pâques : le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !
Dieu nous confie sa présence
2PAC
Dimanche de la Miséricorde - Année C
Ac 5,12-16 ; Ps 117 ; Ap 1,9-11a.12-13.17-19 ; Jn 20,19-31
Dans la logique de la liturgie, la semaine de Pâques est une seule journée. C’est bien signifié par les évangiles que nous lisons. Dimanche dernier, nous avons entendu ce qui s’est passé au matin du premier jour de la semaine, et aujourd’hui ce sont les événements du soir de ce même jour qui nous sont rappelés. Le matin de Pâques avait commencé par une parole des anges annonçant la résurrection, le soir de Pâques se termine par une parole du Christ ressuscité : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » et cette mission est accompagnée du don de l’Esprit : « recevez l’Esprit Saint, tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés ils lui seront maintenus ».
On a du mal à réaliser la portée de cette phrase de Jésus. Pendant sa vie terrestre Jésus avait insisté sur le pardon, en nous disant : pardonnez comme le Père vous pardonne. Cette fois-ci, il dit presque l’inverse … Non pas de ne pas pardonner, au contraire ! Mais il dit le Père pardonnera ce que vous aurez pardonné ! Ce n’est plus tant l’homme qui doit imiter Dieu, c’est Dieu qui s’en remet à l’homme. Jésus ne dit plus faites ce que Dieu fait, il dit Dieu fera ce que vous ferez.
Cet aspect du mystère pascal, n’est sans doute pas celui dont nous sommes le plus conscient. Dans la nuit de Pâques brille la lumière du Christ, et cette lumière éclaire le passé et l’avenir. Il éclaire le passé – et j’espère que nous en sommes tous bien convaincus – en nous révélant que Jésus n’était pas seulement un homme de Dieu, mais qu’il était Dieu fait homme. La résurrection du Christ est la clé de notre foi : c’est le sommet de la révélation, c’est notre raison de croire en la divinité de Jésus. A la lumière de Pâques nous découvrons que de l’Annonciation jusqu’au Vendredi Saint, Dieu a habité parmi nous. Voilà la lumière de Pâques sur le passé. Mais cette lumière éclaire aussi le futur : à partir de ce moment, Dieu n’est plus séparé des hommes, il s’en remet à nous. Par l’Esprit-Saint, le Seigneur nous confie sa parole et sa mission. Par sa vie, Jésus nous a montré que la condition humaine n’est pas incompatible avec la vie divine, à Pâques, il nous invite à vivre ce qu’il a vécu. La mission des chrétiens continue et prolonge la mission du Christ.
Désormais la parole de Dieu ne sera plus prononcée par Jésus, elle sera témoignée par les chrétiens ; l’œuvre de Dieu ne sera plus accomplie par Jésus, elle sera faite par l’Église ; la miséricorde de Dieu ne sera plus manifestée par le Christ, c’est à nous qu’elle est confiée pour que nous la vivions et que nous l’incarnions. On ne peut pas entrer dans le mystère de Pâques en simple spectateur. Face au Christ ressuscité, nous sommes poussés par l’Esprit pour faire retentir l’Évangile jusqu’au bout de nos vies. Voilà pourquoi celui qui croit n’est pas seulement celui qui a vu, mais il est surtout celui qui vit au nom de Jésus. Ainsi, comme nous le rappelait les actes des apôtres, Pierre agit comme le Christ agissait. Ainsi, dans l’Apocalypse comme dans l’Évangile, Jean écrit ce qu’il a vu et vécu pour que nous puissions y prendre part.
En ce dimanche de la miséricorde qui marque le soir du grand jour de Pâques, entendons cette parole qui nous est adressée, acceptons cette mission qui nous est confiée, accueillons cette responsabilité qui nous est remise. Nous avons reçu l’Esprit Saint pour le pardon des péchés et pour chasser les esprits mauvais, ouvrons toujours plus nos cœurs et nos vies au don de Dieu pour emprunter le chemin qui s’ouvre au soir du premier jour de la semaine.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais nous accompagne et nous soutienne. Elle qui est l’Etoile du matin, la Demeure de l’Esprit Saint et la Mère de miséricorde, que son exemple nous encourage, que sa présence nous éclaire, que sa prière nous garde fidèles à la foi du baptême et à l’esprit de notre confirmation. Ainsi nous pourrons devenir ce que nous recevons, ainsi nous pourrons témoigner : le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !
Vivre à la hauteur de Dieu
PA01
Dimanche de la Résurrection - messe du Jour
Ac 10,34a.37-43 ; Ps 117 ; Col 3,1-4 ; Jn 20,1-9
Le premier jour de la semaine, de grand matin, comme nous le savons, Jésus était ressuscité. Mais Marie Madeleine ne le savait pas, et quand elle s’aperçoit que la pierre du tombeau a été enlevé, elle s’affole : « on a enlevé le Seigneur de son tombeau ». Alors Pierre et l’autre disciples vont voir ce qui se passe. Dans le tombeau vide, il y avait bien quelques indices : les linges posés à plat, le suaire roulé à part à sa place … si l’on avait déplacé le corps, on n’aurait pas laissé les choses comme ça. Mais c’est en rapprochant ce qu’ils voyaient de ce qu’ils avaient entendu dans les Écritures, qu’enfin ils comprirent que Jésus était ressuscité.
C’est une bonne nouvelle, bien sûr … mais à quoi cela va-t-il leur servir ? Peut-être auront-ils un peu moins peur, mais tant qu’ils ne l’ont pas rencontré, tant qu’ils ne l’auront pas retrouvé cela reste une idée un peu abstraite, pas très utile. D’ailleurs, lorsque Pierre raconte l’histoire, quelques années après à Césarée chez le centurion de l’armée romaine, ce qu’il retient c’est qu’ils ont pu manger et boire avec lui après sa résurrection d’entre les morts.
En vérité, fêter la résurrection du Christ n’a de sens que si l’on est concerné. Or justement, nous sommes concernés. Par notre baptême, nous sommes ressuscités avec lui et, comme le rappelait Saint Paul, cela nous invite à rechercher les choses d’en haut, à penser aux réalités d’en haut. Le baptême n’est pas une tradition familiale ou une affirmation identitaire, le baptême est la porte pour vivre à la hauteur de Dieu.
Vivre à la hauteur de Dieu, c’est déjà ne pas se limiter au monde que l’on voit. C’est reconnaître la présence et l’action du Seigneur dans notre vie. Le considérer comme l’un des protagonistes de notre histoire. Dans les joies comme dans les peines, Dieu est là – non pas comme celui qui provoque, mais comme celui qui accompagne. Il y a souvent deux manières de vivre : on peut vivre selon la logique de la terre, avec des calculs, des stratégies, des processus … qui normalement sont efficaces, mais qui ne suffisent pas à nous épanouir, parce que nous sommes appelés à vivre selon la logique du ciel, dans la confiance et la vérité, dans la justice et le don de soi. La résurrection du Christ nous apprend que si la logique de la terre a pour horizon la mort, la logique du ciel a pour horizon la vie.
Vivre à la hauteur de Dieu, c’est encore entrer dans le regard de Dieu, sur le monde, sur les autres et sur nous. Et Jésus nous a prouvé que le Seigneur nous aimait, qu’il était bienveillant et qu’il nous estimait au point de donner sa vie pour nous. Non pas pour que nous fassions n’importe quoi, mais pour que nous fassions de grandes choses. Ce qui nous grandit ce n’est pas la mesquinerie mais la générosité, ce n’est pas la rancune mais le pardon, ce n’est pas l’orgueil mais le dévouement. Et si l’on accepte de se regarder soi-même avec les yeux de Dieu, on pourra alors aussi regarder les autres avec les yeux de Dieu pour aimer ce qu’il y a d’aimable en eux ; et l’on pourra regarder le monde avec les yeux de Dieu pour reconnaître ce qui nous est confié et en prendre soin. Croire au Christ, c’est croire en sa Résurrection, et si nous recevons par son nom le pardon des péchés, c’est pour que nous puissions, malgré nos limites œuvrer à construire un monde selon le cœur de Dieu.
Vivre à la hauteur de Dieu, c’est enfin vivre au rythme de l’éternité. « Quand paraîtra le Christ votre vie, vous paraîtrez avec lui dans la gloire » disait Saint Paul. Nous savons bien que ce qui dure vaut mieux que ce qui passe. Et c’est à cela que nous aspirons parce que c’est à cela que nous sommes destinés. La résurrection du Christ nous montre que la vie divine est toujours devant nous, non pas comme la carotte qui fait avancer l’âne, mais comme le but de notre vie, ce qui la guide et ce qui lui donne sens. Dans le baptême nous avons reçu l’Esprit Saint pour que notre cœur batte au rythme du cœur de Dieu, pour que nous désirions le bonheur plutôt que le plaisir, pour que les épreuves ne nous abattent pas mais nous fortifient, pour que nous prenions l’habitude de la vie éternelle.
Pâques est une grande fête, puisque nous célébrons la Résurrection du Christ, non pas pour nous émerveiller d’un spectacle éblouissant, mais pour plonger résolument dans une aventure qui nous entraîne à vivre à la hauteur de Dieu dans la foi qui fait voir l’invisible, dans la charité qui fait participer du cœur de Dieu, dans l’espérance qui conduit à la vie éternelle.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Porte du ciel qu’elle ouvre nos yeux à la présence du Seigneur ; Mère du Bel amour qu’elle ouvre nos cœurs à sa tendresse ; Reine des cieux qu’elle ouvre nos vies à l’éternité pour que nous puissions, nous aussi, être témoins de cette bonne nouvelle de Pâques : le Christ est ressuscité ! Alléluia ! Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !
Jésus a porté le poids du péché
VEST
Vendredi Saint - Office de la Passion
Is 52,13-53,12 ; Ps 30 ; He 4,14-16 ; 5,7-9 ; Jn 18,1-19,42
Nous voilà au soir du vendredi saint, devant la croix. Ce soir, les paroles du prophète résonnent pour nous : le serviteur de Dieu a souffert pour les pécheurs, il s’est chargé de leurs fautes. Sans l’avoir mérité, il a pris sur lui le poids du péché, pour que ceux qui ont commis le péché ne portent pas la charge qui les écraserait. Ce soir, les paroles de l’apôtre éclairent le mystère : Jésus est le grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Il a subi l’épreuve sans compromission. Ce soir, nous sommes devant le cœur du mystère pascal : Jésus nous sauve en se chargeant de ce qui nous enferme. Et tout au long de la passion selon saint Jean, il est frappant de noter l’attitude de Jésus, comme une sorte de majesté qui triomphe de l’épreuve sans la fuir.
Dans le jardin au-delà du Cédron, quand Jésus est arrêté, il ne se dérobe pas. Il y a quelque chose de majestueux dans sa réponse à l’interpellation des gardes : « c’est moi ». Ce sont les mots de Dieu à Moïse au cœur du buisson ardent « je suis ». Jésus porte le poids des actions. La trahison lui fait porter le fardeau de ce qu’un autre a fait, mais il ne veut pas que ses apôtres subissent les conséquences de ce qui lui arrive : « laissez-les partir », dit-il aux soldats. C’est l’attitude du responsable, qui refuse la lâcheté du coupable rejetant sa faute sur d’autres, comme dans le jardin des origines où chacun renvoyait à un autre la responsabilité du péché.
Devant Hanne, le grand prêtre de cette année-là, alors que Pierre renie son maître, alors que pérorent les accusateurs, Jésus porte le poids des paroles. « Si j’ai mal parlé, montre ce qu’ai dit de mal, mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? ». Dans les discours du procès qui se parent d’artifices et de faux fuyants pour atteindre un but inavoué, les mots de Jésus transparaissent de vérité et de simplicité. C’est l’attitude du témoin qui reste fidèle, qui respecte le message dont il est chargé, alors que le flatteur manipule ce qui est dit pour son propre intérêt.
Face à Pilate, l’attitude de Jésus reste souveraine. Ses réponses comme son silence viennent briser toutes les manœuvres, les marécages du jeu politique. « C’est toi qui le dit ». Jésus place le gouverneur romain face à son inconséquence, face à ses craintes, face à son impuissance. Jésus porte alors le poids des relations. Par son humilité il subit les conséquences d’un jeu subtil d’intérêts considérés comme supérieurs. Sans compromission, Jésus reste fidèle à ce qu’il est.
Enfin, sur la Croix, Jésus confie sa mère au disciple et le disciple à sa mère : « voici ton fils », « voici ta mère ». Il porte le poids des affections et des sentiments. Dans la pureté d’un cœur qui aime, Jésus ne se lamente pas sur lui-même, il porte le souci de ceux qu’il aime, s’oubliant lui-même pour prendre soin des autres. Au contraire de l’égoïste, Jésus manifeste la générosité de la sollicitude qui ne désire pas pour soi-même.
A chaque moment de sa Passion, Jésus porte le poids du péché. Sans faiblir. Trahi, il ne trahit pas, moqué il ne répond pas, humilié il ne se révolte pas, lié à la croix il continue de donner. Jésus a porté le poids des actions mauvaises, des paroles fausses, des relations compliquées, des sentiments mal maitrisés. Par la responsabilité, le témoignage, l’humilité, et la sollicitude il traverse l’épreuve en vainqueur. Et quand tout est accompli, dans l’obéissance à la volonté de Dieu, inclinant la tête il remit l’esprit.
Ce soir, comme le disciple bien aimé, tenons-nous au pied de la Croix. Avec la Vierge Marie, Stabat Mater dolorosa, contemplons « le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi »
Viens dehors !
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5° dimanche de carême - Année A
Ez 37,12-14 ; Ps 129 ; Ro 8,8-11 ; Jn 11,1-45
« Lazare, viens dehors ». Puisque la résurrection de Lazare préfigure le mystère de Pâques, on peut penser que ces mots sont le modèle de tout appel chrétien. A chacun de nous, à chaque moment de notre histoire, le Seigneur adresse cet appel à sortir de l’obscurité des tombeaux pour venir à la lumière de la vie. Lumière de la vie éternelle par le baptême, lumière de l’amour par le mariage, lumière de la paix par le pardon, lumière du service par l’engagement, lumière du mystère par la consécration religieuse … d’une manière ou d’une autre l’appel de Dieu est un appel à « venir dehors ». Mais pour répondre à cet appel, Lazare a dû dépasser trois obstacles qui nous aideront à mieux comprendre comment répondre nous-mêmes aux appels de Dieu.
Le premier obstacle, c’est la pierre roulée devant le tombeau. Ce n’est pas forcément l’obstacle le plus difficile, mais c’est le plus évident. C’est pourquoi, avant toute chose, Jésus demande qu’on enlève la pierre. Évidemment Marthe doute : à quoi bon ? « Il sent déjà, c’est le quatrième jour qu’il est là ». Alors Jésus répond « Si tu crois tu verras la gloire de Dieu ». Pour que l’appel de Dieu soit possible, il faut donc un acte de foi. Est-ce que nous faisons confiance à l’Évangile ? Est-ce que nous croyons que la vie chrétienne est possible aujourd’hui ? Que le mariage selon le cœur de Dieu est possible aujourd’hui ? Que l’engagement et le témoignage sont possibles aujourd’hui ? Si nous ne faisons pas un acte de foi, si nous ne faisons pas confiance à l’Évangile, Dieu pourra toujours appeler, personne ne pourra répondre ! Car il ne s’agit pas que de nous : ce n’est pas Lazare qui bouge la pierre, ce sont les autres. C’est notre foi qui rend possible l’appel de Dieu pour les autres. C’est vrai pour la foi des parents et la vocation des enfants, mais aussi pour les conjoints, pour les amis, pour la paroisse : si nous ne vivons pas dans un climat de foi, ceux qui nous entourent ne pourront pas répondre à l’appel du Seigneur.
Une fois le tombeau ouvert, il y a tout de même un deuxième obstacle qui paraît insurmontable : la mort. Si Lazare est mort, il ne peut pas entendre la voix de Jésus. C’est là qu’il ne faut pas hésiter à réfléchir : puisque Lazare va entendre la voix de Jésus, c’est qu’il est déjà ressuscité quand le Seigneur l’appelle. Au passage, ça explique les paroles de Jésus : « Je te rends grâce parce que tu m’as exaucé ». Ainsi la grâce de Dieu précède son appel pour que nous puissions y répondre. On se découvre capable de faire ce que Dieu nous demande. Les charismes, les dons de l’Esprit que l’on reçoit personnellement pour le bien de tous, nous disposent à ce que Dieu attend de nous. Ils nous invitent à sortir de l’enfermement du confort pour répondre à l’appel du Seigneur. Dieu ne nous demande rien d’impossible, il nous donne les moyens de faire ce qu’il attend de nous. C’est pourquoi saint Paul rappelle aux Romains : « l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous ». C’est en reconnaissant la grâce de Dieu que nous pouvons accepter de répondre à l’appel, et l’appel révèle la grâce de Dieu. Si nous hésitons à répondre à un appel, si nous trouvons difficile ce que Dieu nous demande, souvenons-nous que Dieu n’appelle pas sans donner les moyens de la mission.
Et Lazare sort. Péniblement. Il ne va pas très loin, puisqu’il a les pieds et les mains liées et un suaire sur le visage. C’est le troisième obstacle : les bandelettes qui n’empêchent pas mais qui rendent difficile la réponse et nous limitent. Ce troisième obstacle est levé par ceux qui nous entourent et qui répondent eux aussi à l’appel du Seigneur. Pour que notre vocation s’épanouisse, pour que l’appel de Dieu se déploie, nous avons besoin de l’Église. Ce qui nous en éloigne ne vient pas de Dieu. Si nous ne restons pas dans l’Église, nos projets et nos engagements restent limités. Il faut se libérer des bandelettes de l’égoïsme, de la fatigue ou de l’orgueil qui entravent et diminuent l’enthousiasme. Coupé de l’Église le service devient pouvoir ; l’engagement devient vanité ; l’étude devient idéologie. Nous ne pouvons pleinement accomplir l’œuvre de Dieu qu’en restant au cœur de l’Église : ce n’est pas seul mais ensemble que l’on répond à l’appel du Seigneur.
Aujourd’hui encore retentit pour nous l’appel du Seigneur « viens dehors » ! Pour l’accueillir nous devons réaliser que cet appel est permis par la foi, qu’il est précédé par la grâce et qu’il se déploie dans l’Église.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Vierge fidèle qu’elle fortifie notre foi pour que résonne en nous l’appel de Pâques. Porte du Ciel qu’elle nous apprenne à reconnaître les grâces qui nous sont confiées pour répondre à notre mission. Mère de l’Église qu’elle nous garde au cœur du peuple de Dieu pour que s’accomplissent en nous les promesses et resplendisse la gloire à laquelle le Seigneur nous appelle, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Complicité, absolution ou seconde chance
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5° Dimanche de Carême - Année C
Is 43, 16-21 ; Ps 125 ; Ph 3, 8-14 ; Jn 8, 1-11
« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » … cette phrase de Jésus devant la femme adultère est devenue proverbiale. Il est vrai qu’elle est proprement géniale, et que Jésus a trouvé là un moyen extraordinaire de sortir du piège qui lui était tendu par les pharisiens. Pourtant on pourrait la comprendre de travers. Par exemple en faire la justification d’un système mafieux : puisque tout le monde a quelque chose à se reprocher, tout le monde ferme les yeux …. On imagine bien que ça n’est pas ça que Jésus veut nous dire. Reprenons le texte pour mieux le comprendre.
Jésus est en train d’enseigner, et voilà que les scribes et les pharisiens lui amènent une femme surprise en plein adultère. C’est un péché grave – très grave puisqu’il est puni de mort et d’une mort assez pénible : la lapidation. Ce n’est pas le lieu ici de reprendre ici tout l’enseignement de Jésus sur le mariage, mais – même si notre temps semble assez tolérant à l’adultère – ça reste un péché grave. Au premier temps de l’église c’était même, avec le meurtre et l’apostasie un cas d’exclusion de la communauté chrétienne. Mais revenons à la femme de l’évangile. Cette femme a été prise en flagrant délit … Le cas est on ne peut plus clair ! Pourquoi l’amène-t-on à Jésus ? C’est parce qu’on veut le piéger pour pouvoir l’accuser. La préoccupation des scribes et des pharisiens, ça n’est pas la justice, ça n’est pas la loi, c’est de piéger Jésus. La femme n’est pas importante pour eux, elle n’est qu’un prétexte. A leurs yeux elle est déjà morte : c’est Jésus qui les intéresse, c’est lui qu’ils veulent accuser.
On sait que Jésus connaissait les pensées du cœur. Il a saisi le piège, évidemment. Que fait-il ? Il se baisse et regarde ailleurs, traçant des traits sur le sol. On a beaucoup glosé sur cette attitude. Des générations de chrétiens se sont demandé ce que Jésus avait bien pu dessiner ! En fait, on peut tout simplement penser qu’il détourne son regard. Il ne veut pas voir la scène, il ne veut pas voir cette haine des accusateurs, cette femme déjà condamnée et instrumentalisée. Cette scène me fait penser à la magnifique représentation du Christ aux outrages peint par Fra Angelico au couvent San Marco à Florence. Le Christ est frappé, moqué, humilié. Il a un bandeau sur les yeux et le dessin du peintre est si fin qu’on devine, que sous le bandeau, Jésus ferme les yeux.
Mais les autres insistent. Même si Dieu ne veut pas voir le mal, il ne peut pas y échapper, et cela nous annonce déjà le temps de la Passion. Alors Jésus prononce la fameuse phrase « celui qui n’a jamais péché, qu’il lance la première pierre ». Ce n’est pas une absolution, c’est une accusation. Les accusateurs se retrouvent accusés, d’une accusation implacable, qui vient de Dieu et à laquelle personne ne peut échapper. Alors ils s’en vont, l’un après l’autre en commençant par les plus âgés – malicieuse remarque de l’évangéliste dont feraient bien de se rappeler ceux qui se trouvent trop vieux pour pécher … surtout quand il y a un soupçon de nostalgie dans cette affirmation !
Alors Jésus se relève, cette fois-ci il peut regarder la femme. Elle porte toujours le poids du péché qu’elle a commis, mais elle n’est plus condamnée d’avance. Elle est redevenue une vivante, une femme, pécheresse certes, mais vivante. Personne ne t’a condamnée ? Moi non plus je ne te condamne pas. Ce n’est pas non plus une absolution, comme celle que nous recevons dans le sacrement. C’est un sursis, une deuxième chance. Jésus retarde le moment du jugement pour lui laisser le temps de se repentir. Il ne dit pas « va en paix » mais « va et désormais ne pèche plus ». Il n’y a aucune complicité ni aucune complaisance dans le péché, il y a juste une libération, une porte qui s’ouvre à nouveau là où tout semblait terminé, une vie nouvelle qui est permise au-delà de la mort annoncée. Et c’est bien ça le cœur de la fête de Pâques qui approche maintenant. C’est ce que le Christ nous permet par sa résurrection.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole, à nous laisser toucher par cet évangile. Elle qui est le Refuge des pécheurs, qu’elle nous obtienne un temps de grâce pour nous convertir, pour nous ouvrir plus pleinement à la vie divine. Elle qui est la Porte du Ciel, qu’elle nous montre le chemin de la justice, non pas la justice de la loi, mais la justice de la foi. Elle qui est la Mère de miséricorde qu’elle nous montre comment aimer selon le cœur de Dieu, dès maintenant et pour les siècles des siècles
Trois détails intrigants
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4° Dimanche de Carême - Année C
Jos 5, 10-12 ; Ps 33 (34) ; 2 Co 5,17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32
Quel merveilleux texte que cet évangile du fils prodigue ! Une de ces perles de l’évangile que l’on aime à lire et relire. Un texte facile à comprendre, agréable à entendre. La joie du Père comme fruit de la conversion du fils, n’est-ce pas merveilleux ? Mais c’est aussi un véritable calvaire pour le prédicateur qui se demande bien ce qu’il va pouvoir dire de plus sur le sujet ! Je relisais studieusement le texte lorsque je me suis aperçu qu’il y avait au moins trois détails intrigants qui méritent qu’on l’on approfondisse notre méditation.
Tout d’abord, la situation du fils, pendant la famine. Il va se faire embaucher chez un homme d’un pays lointain, mais personne ne lui donne rien. Quel type d’employeur est cet homme qui ne paye pas, au moins modestement, ceux qui sont à son service ? On ne lui donne même pas les gousses que mangent les cochons ? Même les esclaves reçoivent le minimum pour survivre ! La situation est l’image du péché. Après avoir gaspillé son argent, donc profité sans peiner ; voici que le jeune fils se fait exploiter de la manière la plus inique qui soit : il peine sans profiter. Et c’est finalement un bon résumé de la logique du péché : séparer l’effort du plaisir, de sorte qu’après un plaisir sans effort, survient un effort sans plaisir. Il n’y a rien d’étonnant à ce que, du fond de son malheur, le fils se souvienne de son père qui, lui, est un maître juste, rétribuant abondamment ses ouvriers.
Ensuite il y a la réaction du père à l’arrivée de ce fils. Oh bien sûr vous allez me dire que c’est très beau, et très émouvant. Mais il y a une expression qu’on ne remarque pas et qui est pourtant essentielle. « Son père l’aperçut et fut saisi de compassion ». Le mot grec est fort, c’est aussi celui qui est utilisé pour décrire l’attitude de Jésus devant la foule comme des brebis sans berger. On peut le traduire par « remué aux entrailles ». On imagine bien que le fils ne devait pas être en grande tenue. Il n’avait même plus de chaussure, puisque son père demande qu’on lui en donne. S’il allait pieds nus, son vêtement étant sans doute peu reluisant, et il n’avait certainement plus aucun bijou. Alors on comprend que le cœur du père se brise en voyant son fils dans cet état. Il s’agit bien ici de la miséricorde au sens fort du terme, du cœur brisé qui prend pitié, comme nous-mêmes nous implorons « Seigneur, prends pitié ».
Enfin il y a un troisième détail sur lequel on passe généralement. C’est l’expression du père au fils aîné lorsqu’il sort pour le convaincre de rentrer. « Il fallait festoyer et se réjouir ». C’est rare que la fête soit un devoir ! Le premier à parler de festoyer, c’est le fils aîné, qui regrette de n’avoir pas festoyé avec ses amis. Sans doute y a-t-il de l’amertume dans sa remarque, mais rien d’essentiel ne lui manque ; tandis que le père considère comme une obligation de festoyer pour le retour de son fils. Pourquoi ? « Parce qu’il est revenu à la vie », « parce qu’il est retrouvé ». C’est en quelque sorte la réponse de Jésus aux récriminations des scribes et des pharisiens, comme s’il demandait : « que faut-il faire lorsqu’un pécheur revient ? ». Pour Dieu, c’est tellement important qu’il faut s’en réjouir, comme on se réjouit de la naissance d’un enfant, comme on se réjouit de retrouver ce qui était perdu. Que la compassion conduise à la joie en dit long sur le cœur de Dieu.
Ainsi, les trois détails forment comme une progression pour découvrir le visage de Dieu. C’est d’abord un père juste qui n’embauche pas des serviteurs sans rien leur donner pour survivre. C’est ensuite un père au cœur tendre qui se laisse émouvoir par la misère du pécheur. C’est enfin un père fidèle et aimant qui se réjouit du retour du fils perdu, de la renaissance du fils qui était mort. Ces trois détails balisent aussi l’itinéraire de conversion auquel nous sommes appelés. Il faut commencer par réaliser l’injustice du péché se présentant sous l’aspect séduisant de l’insouciance qui profite sans effort mais conduit à l’esclavage de l’effort sans profit. Il faut ensuite accepter de se présenter dans l’humilité de notre misère devant Dieu qui balaye les orgueilleux mais se laisse saisir de compassion. Alors nous pourrons nous laisser revêtir par le Christ, pour entrer dans la joie du Père au festin du Royaume.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à détester l’injustice et à déjouer les pièges de la tentation. Mère de Miséricorde, qu’elle nous montre le chemin de la conversion et de l’humilité. Porte du Ciel qu’elle nous accompagne jusqu’à la joie du salut pour que nous puissions entrer dans la demeure de Dieu et partager le Repas du Seigneur pour les siècles des siècles.
Les pièges de la culpabilité
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4° Dimanche de Carême - Année A
1 S 16, 1.6-7. 10-13a ; Ps 22 ; Ep 5,8-14 ; Jn 9,1-41
Dans la préparation au baptême, et donc dans notre marche vers Pâques, après la Samaritaine et le signe de l’eau, voici que l’évangile de l’aveugle-né évoque le signe de la lumière. « Je suis la lumière du monde » dit Jésus, et les textes parlent de voir, du regard qui va au-delà des apparences comme dans la mission de Samuel, mais aussi des ténèbres qui dissimulent le péché comme dans la deuxième lecture. Le terme de scrutin qui désigne la démarche que vivent les catéchumènes, signifie de se laisser scruter par la parole de Dieu. S’agit-il alors d’une étape où l’on doit reconnaître ses péchés ? Sans doute, mais pas seulement. On a beaucoup reproché au christianisme d’encourager la culpabilité. En vérité l’évangile que nous venons d’entendre nous aide au contraire à démasquer les pièges de la culpabilité.
Le premier piège, c’est la culpabilité fausse. Devant la misère de l’homme qui se tenait à la sortie du Temple, les disciples demandent : « qui a péché, lui ou ses parents ? » et les pharisiens l’accusent « tu es dans le péché depuis ta naissance ». Mais Jésus prend le contrepied de cette idée que la souffrance serait une punition. Bien sûr, il arrive que la faute entraine la souffrance, mais ce n’est pas toujours le cas ! On est responsable de ce que l’on a fait de mal, pas de ce que l’on subit. Et pourtant il y a, hélas, des situations où l’on peut se sentir coupable, alors qu’on ne l’est pas … et elles sont souvent dramatiquement douloureuses. Cela peut paraître rassurant d’expliquer une souffrance, mais le plus souvent c’est piège qui prétend justifier ce qui est injuste. Pour sortir de la culpabilité fausse, il ne faut pas laisser les seules émotions éclairer notre vie. La lumière, c’est le Christ et jamais il ne nous a demandé de nous charger des fautes que nous n’avons pas commises !
Mais pour éviter le premier piège, on peut tomber dans un deuxième piège : la culpabilité refusée. On passe de la remarque « nous ne sommes pas toujours coupables » à la prétention « nous ne sommes jamais coupables ». C’est d’ailleurs ce que reproche Jésus aux pharisiens : « parce que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure ». On n’est pas dans un monde en noir et blanc : on n’est pas soit saint, soit pécheur. Un proverbe dit qu’un saint pèche sept fois par jour ! Il faut accepter que nous n’ayons pas toujours raison, il faut accepter que nous ne fassions pas toujours ce qu’il faudrait. La culpabilité refusée n’est pas une solution, parce qu’elle empêche de changer ce qui devrait l’être. Elle est d’ailleurs souvent illusoire parce qu’on ne résout pas un problème en l’ignorant. Celui qui n’a rien à se reprocher se trompe sur lui-même. Il faut accepter que la parole de Dieu nous montre nos insuffisances et nos erreurs.
C’est alors que peut survenir un troisième piège : la culpabilité envahissante, celle qui nous paralyse. L’œil dans la tombe qui regardait Caïn, comme disait Victor Hugo. C’est la culpabilité qui confond ce que nous avons fait et ce que nous sommes. Et c’est encore injuste. La lumière du Christ n’est pas un projecteur qui se focaliserait sur nos manquements, c’est un soleil qui éclaire tout, les bons comme les méchants, ce que nous avons fait de mal comme ce que nous avons fait de bien, et surtout ce qu’il nous propose. Le signe qu’il y a un piège à la culpabilité, c’est qu’il n’y a pas d’espérance. Quand Jésus s’adresse à l’aveugle-né, il lui ouvre toujours un avenir : « va te laver », « crois-tu ? ». Il n’est pas un juge, mais un passeur qui permet d’agir. Si la culpabilité envahissante enferme dans le passé, le Christ nous relève et sa miséricorde nous illumine. On se trompe quand on parle de péché sans pardon, comme on se trompe quand on parle de pardon sans péché.
Laissons la Parole de Dieu éclairer nos vies. Elle nous détourne de la culpabilité fausse, elle nous apprend à sortir de la culpabilité refusée, elle nous libère de la culpabilité envahissante. La lumière du Christ nous montre le chemin de la vérité, de la conversion et de la vie éternelle.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des Affligés, Refuge des pécheurs et Mère de miséricorde qu’elle fasse resplendir dans nos cœurs et dans vies la splendeur du Salut, pour que guidés par l’évangile nous puissions avancer dans l’espérance et demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.