Je n'ai pas besoin de toi ?
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3° Dimanche du Temps Ordinaire - Année C
Ne 8,1-4a. 5-6. 8-10 ; Ps 18 ; 1 Co 12,12-30 ; Lc 1,1-4 ; 4,14-21
Lorsque saint Paul imagine un dialogue entre les différentes parties du corps pour expliquer le mystère de l’Église, il y a un passage saisissant : « l’œil ne peut pas dire à la main : “je n’ai pas besoin de toi” ; la tête ne peut pas dire aux pieds : “je n’ai pas besoin de vous” ». Cette petite phrase « je n’ai pas besoin de toi » c’est en quelque sorte ce que nous ne devons pas dire, ce que nous ne devons même pas penser. Bien sûr, il faut mettre des nuances : on n’a pas besoin de tout le monde, tout le temps, pour tout ! Donc il y aura des moments où on pourrait la dire : par exemple, je n’ai pas besoin de toi pour descendre la poubelle ou pour faire la vaisselle … c’est amusant de voir que plus il est légitime de le dire, moins on a tendance à le faire ! Quoiqu’il en soit, il vaut mieux ne pas trop dire « je n’ai pas besoin de toi. Quand on commence à penser « je n’ai pas besoin de toi », c’est une sirène d’alarme spirituelle : le plus souvent on est en train de se tromper : on se trompe sur soi-même, ou on se trompe sur les autres, et généralement on se trompe sur soi et sur les autres !
On se trompe sur soi, quand on pense qu’on n’a besoin de personne qu’on se suffit à soi-même. En français, être suffisant est plutôt un reproche qu’un compliment. Mais surtout la première lecture est très instructive. Le peuple, après cinquante ans d’exil à Babylone revient dans son pays, il retrouve le livre de la Loi, qui est son livre fondateur … mais il ne le comprend plus : il n’en connaît même plus la langue ! Regardons cette image : le peuple a besoin d’un autre pour retrouver ce qui est le plus important. Nous avons besoin d’un autre pour retrouver l’alliance avec le Seigneur. De la même manière dans l’évangile, saint Luc témoigne qu’il a eu besoin des autres pour nous dire ce que nous avons besoin qu’il nous dise. Nous avons besoin qu’on nous explique les choses, et qu’on nous guide pour réagir comme il faut. La relation à Dieu n’est pas notre petit jardin secret où nous n’avons besoin de personne … au contraire ! C’est ensemble, que nous progressons vers le Seigneur, c’est ensemble que nous habitons la Terre promise, c’est ensemble que nous formons le corps du Christ.
Et on peut se tromper aussi sur les autres, en pensant que peut-être on a besoin d’aide, mais pas de celui-ci ou de celui-là : qu’ils sont inutiles ou qu’ils ne sont pas capables. Comme la parole de Dieu n’est pas là pour changer le cœur des autres mais le nôtre, il faut s’interdire d’entendre cette phrase « je n’ai pas besoin de toi », ce qui revient à dire qu’il faut s’interdire de penser « il n’a pas besoin de moi ». Sur ce point, c’est l’évangile que nous venons d’entendre qui peut nous aider. Bien sûr, on sait que c’est une manière d’introduire la vie publique de Jésus en citant le prophète Isaïe comme un programme. Mais en vérité cette prophétie nous concerne nous aussi puisqu’il est dit « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Or que dit ce passage de l’Écriture que nous venons d’entendre et qui s’accomplit aujourd’hui ? « L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle ». Autrement dit, nous sommes envoyés, Dieu nous a choisi pour les autres, ce que Dieu nous donne n’est pas à garder jalousement mais à partager. Ce que nous sommes est pour les autres !
Pour vivre, il faut respirer, et la respiration comporte deux mouvements et deux temps : on inspire et on expire. Donc on peut s’étouffer de deux manières différentes : en manquant d’inspirer ou en manquant d’expirer. Eh bien dans la vie de l’Église il y a aussi deux manières d’étouffer : soit en disant « je n’ai pas besoin de toi », soit en pensant « il n’a pas besoin de moi ». Celui qui dit « je n’ai pas besoin de toi » se trompe, parce que nous avons toujours besoin des autres pour retrouver le Seigneur et entrer dans le don de Dieu. Celui qui croit n’avoir besoin de personne pour aimer Dieu, n’aimera jamais qu’une idée qu’il se fait de Dieu. Dire « je n’ai pas besoin de toi » c’est manquer de l’humilité qui est le premier mouvement, le premier temps de la vie spirituelle.
Mais il ne faut pas écouter non plus « je n’ai pas besoin de toi » : ça n’est pas une parole de Dieu. Au contraire, la parole de Dieu nous dit « je t’envoie porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la libération, aux aveugles la vue, aux opprimés la liberté » ; la parole de Dieu nous appelle à l’engagement et au service, elle nous invite à reconnaître ce dont l’autre a besoin, ce que nous pouvons faire pour l’aider. Le Seigneur compte sur nous, il donne à la mesure que nous partageons. Ce don de soi pour aider les autres, la charité, c’est le deuxième mouvement, c’est le deuxième temps de la respiration spirituelle.
Humilité et Charité sont comme les deux temps de la vie divine. L’humilité refuse de dire « je n’ai pas besoin de toi » ; la charité refuse d’entendre « je n’ai pas besoin de toi ». Et comme dans la respiration, il faut les deux mouvements … sinon on s’étouffe !
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, fasse retentir dans nos vies la parole de Dieu. A Cana elle a su indiquer aux serviteurs celui dont ils avaient besoin, qu’elle nous apprenne à demander de l’aide. A l’Annonciation elle a accepté que le Seigneur ait besoin d’elle, qu’elle nous encourage à nous donner avec générosité. Mère de l’Église qu’elle nous apprenne à respirer d’humilité et de charité pour vivre à la mesure du cœur de Dieu, et demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Les deux repas
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2° dimanche du Temps Ordinaire - Année C
Is 62,1-5 ; Ps 95 (96) ; 1 Co 12,4-11 ; Jn 2 ; 1-11
Si l’on en croit saint Jean – et il n’y a aucune raison de ne pas le croire – les noces de Cana sont « le commencement des signes que Jésus accomplit ». Ainsi le ministère de Jésus commence et finit par un repas. Il commence par le repas de Cana en Galilée ; il finit par celui de la nuit du jeudi saint, au Cénacle, à Jérusalem.
C’est une chose remarquable que Dieu nous rejoigne et agisse au cœur d’un repas. A bien des égards, le repas est typique de l’homme. Bien sûr tous les êtres vivants se nourrissent, mais un repas c’est quelque chose de plus : c’est un moment qu’on prépare, c’est un moment qu’on partage. La nourriture fait partie de nos besoins essentiels, mais le repas lui donne une qualité, un caractère proprement humain. Ainsi le Christ se manifeste dans ce qui est à la fois le plus ordinaire et le plus particulier de notre existence.
Mais les noces de Cana et la Cène du Seigneur ont aussi en commun d’être un moment où quelque chose se transforme : l’eau devient du vin, le vin devient le sang du Christ, c’est-à-dire sa vie selon la symbolique biblique. Dieu n’est pas là comme un spectateur, ni même comme un simple convive : il vient transformer, il vient élever. Le maitre du repas, à Cana, remarque que d’habitude on sert le bon et ensuite le moins bon. En vérité c’est la dynamique fondamentale de la matière : avec le temps les choses s’usent et s’épuisent. Mais la dynamique divine est inverse : la boisson ne s’épuise pas, le bon conduit au meilleur. Avec Dieu on ne va pas vers le moins mais vers le plus. C’est la logique des prophètes, comme nous le rappelait la lecture d’Isaïe, c’est aussi la logique de l’espérance, qui est le thème de cette année jubilaire.
Enfin, parmi les choses que l’on retrouve à Cana comme au Cénacle, il y a la même demande : « Faites ». A Cana, c’est Marie qui recommande aux serviteurs « faites tout ce qu’il vous dira » ; au Cénacle, c’est Jésus qui demande aux disciples « faites ceci en mémoire de moi ». Ainsi la parole de Dieu n’est pas abstraite, elle s’incarne dans ce que nous faisons. Devant Dieu, il ne suffit pas de dire ou d’écouter, il faut aussi faire et agir. C’est ce que soulignait saint Paul dans la lettre aux Corinthiens : Dieu agit à travers nous, « à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien ». Le Seigneur compte sur nous, il nous demande de nous impliquer, de nous engager. Si Dieu peut tout faire, mais il ne veut rien faire sans nous.
Au début de ce temps ordinaire, l’évangile nous invite à contempler les noces de Cana pour nous préparer au Repas du Seigneur. Dieu se fait proche de nous, il partage ce que nous sommes. Il ne faut pas le chercher dans l’extraordinaire ou l’inaccessible, mais dans l’ordinaire et le quotidien. Le Christ n’est pas un mirage qui fait rêver, mais un compagnon qui nous accompagne. Et il nous accompagne pour nous entrainer. En lui, ce que nous sommes et ce que nous vivons est appelé à grandir et à s’élever. Nos relations, nos activités, nos plaisirs et nos joies, tout ce qui donne du sens à notre vie, tout ce qui donne du goût à l’existence, n’est pas voué à s’user ou à s’épuiser, mais à se transformer et à s’améliorer. Et cette action du Seigneur ne se fait pas sans nous. Pour suivre le Christ, il faut l’écouter et faire ce qu’il nous demande. Il agit à la mesure de l’engagement qui naitra d’une parole entendue et mise en pratique.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais nous aide tout au long de cette année, à répondre à l’invitation qui nous est faite. Porte du Ciel, qu’elle ouvre nos cœurs à la Parole du Christ. Etoile du Matin qu’elle nous montre comment faire tout ce qu’il nous dira pour que l’eau de nos vies devienne le vin du Royaume éternel. Mère du Bel Amour qu’elle nous encourage à saisir toutes les occasions pour vivre en présence de celui qui a voulu partager notre existence pour que nous puissions partager sa gloire et vivre avec lui, dès maintenant et pour les siècles des siècles.