Débusquer les ambiguïtés du choix
21TOB
21° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Jos 24,1-2.15-17.18 ; Ps ; Ep 5, 21-32 ; Jn 6,60-69
A Sichem au temps de Josué, comme à Capharnaüm à la fin du discours du Pain de Vie, la même question résonne : « choisissez qui vous voulez servir ? » ou formulée autrement : « voulez-vous partir, vous aussi ? ». Cela pourrait paraître étonnant : le peuple cheminait depuis près de 70 ans sous la conduite de Dieu, d’abord avec Moïse puis avec Josué. Les disciples suivaient Jésus depuis au moins deux ans, et avaient tout quitté pour lui. Pourquoi donc faut-il choisir à nouveau ce qu’ils avaient déjà choisi ? En fait, ils sont assez rares dans la vie les choix définitifs qu’il ne faut pas renouveler régulièrement ! Nous sommes faits ainsi que la fidélité à un choix initial n’est pas mécanique, mais qu’elle sollicite notre liberté pour choisir à nouveau ce que nous avons choisi. C’est aussi une manière de clarifier, ou de purifier notre choix. De vérifier que nous avons bien choisi ce que nous prétendons et non pas autre chose qui lui ressemble.
Voyons, à partir des textes que nous venons d’entendre, ce qu’il pourrait y avoir d’ambigu dans le choix de suivre le Seigneur. Pour cela examinons les situations alternatives : celles que propose Josué à Sichem et celle que l’évangile nous rapporte.
Première alternative : « les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate », c’est-à-dire avant qu’Abraham ne quitte son pays. C’est le choix de la tradition familiale, de l’habitude. On fait ce qui a toujours été fait. En soi, ce n’est pas mauvais : nombreux sont ceux qui sont chrétiens parce que leurs parents l’étaient. Mais c’est une situation, pas une raison. Il y a toujours un moment où l’on doit choisir ce qu’on nous a proposé. L’habitude est la première ambiguïté du choix. Elle est bonne quand elle facilite, elle est mauvaise quand elle détermine. En posant aux Douze la question « voulez-vous partir ? », Jésus les libère de l’habitude : faites selon votre cœur et non pas selon la routine. Voilà pourquoi il faut renouveler son choix, pour qu’il reste un choix et non pas une habitude.
Deuxième alternative : « les dieux des Amorites dont vous habitez le pays ». C’est-à-dire faire comme tout le monde. C’est le choix du conformisme. Et c’est vrai que c’est plus facile de ne pas être le seul. Quand on est plusieurs, quand nos amis ou nos parents partagent les mêmes valeurs, les mêmes opinions, la vie est quand même plus simple. Mais c’est une aide, pas une raison. Le conformisme est la deuxième ambiguïté du choix parce qu’on choisit la foule et non pas le Seigneur. L’un des trésors de la Révélation, c’est de nous faire découvrir que nous sommes uniques aux yeux de Dieu. Qu’il nous aime personnellement. L’entrée dans le Royaume des Cieux n’est pas un mouvement de foule : à la porte étroite on ne passe qu’un par un. Renouveler son choix, c’est aussi une manière d’affirmer que c’est bien nous qui avons choisi.
Enfin, il y a la situation que rappelait l’évangile. Que disent ceux qui partent ? « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ». On est ici face au défi de la confiance. Trop souvent on croit ce qui nous plait. Heureusement que l’on trouve des satisfactions dans la Parole de Dieu ! Heureusement que certaines choses nous paraissent évidentes ou éclairantes. Mais dans la foi, on sait parce que l’on croit. L’ambiguïté survient quand on ne croit que ce que l’on sait. Ce n’est pas quand ça nous plait que l’on fait l’expérience de la confiance, c’est quand ça nous surprend, quand ça nous paraît exigeant, mais qu’on l’accueille parce que c’est la Parole de Dieu. Nous n'avons pas à mesurer la Parole, mais à la recevoir. En invitant les Douze à le choisir à nouveau, Jésus permet cette belle proclamation de foi de Pierre : « à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».
Alors d’une certaine manière les textes que nous venons d’entendre nous provoquent nous aussi à choisir à nouveau le Seigneur : avons-nous choisi de faire ce qui s’est toujours fait ? avons-nous choisi de faire comme tout le monde ? avons-nous choisi de faire ce qui nous plait, ou bien avons-nous choisi le Saint de Dieu, celui qui a les paroles de la vie éternelle ?
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Fille de Sion qu’elle nous rappelle l’action de Dieu dans nos vies pour que notre fidélité ne soit pas une habitude. Mère de l’Église qu’elle nous permette de reconnaître la présence du Seigneur pour que notre communion ne soit pas conformisme. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à accueillir la Parole même quand elle nous dérange pour que nous puissions choisir à nouveau celui que nous avons choisi et demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Le mystère de la communion
20TOB
20* Dimanche du Temps Ordinaire - année B
Pv 9,1-6 ; Ps 33 ; Ep 5,15-20 ; Jn 6,51-58
Nous poursuivons le discours du pain de Vie, dans le quatrième évangile. Bien évidemment cela évoque pour nous l’eucharistie. A l’époque où saint Jean rapporte ces paroles, c’était aussi le cas. Depuis au moins une cinquantaine d’années déjà, les chrétiens se réunissaient pour – comme le disait saint Paul dans la lettre aux Éphésiens – dire des psaumes, des hymnes, célébrer le Seigneur et rendre grâce à Dieu. Si l’apôtre rappelle les paroles du Seigneur, c’est bien pour que ceux qui les entendent puissent reconnaître le mystère du corps et du sang du Christ dans la fraction du pain.
C’est donc le mystère de la présence réelle qui nous est rappelé aujourd’hui. Et l’expérience montre que ce n’est pas inutile. En vérité, il faut veiller, lorsqu’on va communier, à ce que notre attitude et nos dispositions soient respectueuses et cohérentes avec ce que nous allons recevoir. Cela ne peut pas être un geste banal et machinal. La réponse « Amen » avant de le recevoir n’est pas facultative, c’est le minimum que nous pouvons faire pour reconnaître le sens de ce que nous allons vivre. Et franchement je dois vous avouer que je suis parfois assez perplexe quand je vois la manière dont certains communient. Cela dit, c’est au Seigneur de juger, et à chacun de s’examiner.
Pour revenir à l’évangile, l’incompréhension de la foule n’a rien d’étonnant. Ils n’avaient pas suivi le catéchisme sur le mystère de la présence réelle. Mais, quand on examine la réponse de Jésus à leur question, on s’aperçoit que le Seigneur ne répond pas à la question du « comment » mais à la question du « pourquoi ». Ce qui nous renvoie non plus tellement au mystère de la présence, mais au mystère de la communion. Pourquoi donc le Christ nous donne-t-il sa chair à manger ?
D’abord pour que nous ayons la vie éternelle. Saint Irénée disait que, par l’eucharistie Dieu mettait en nous des semences de la Résurrection. Quand nous communions, c’est la vie éternelle qui est nourrie en nous. Sans doute, l’Esprit travaille en nous et la semence grandit nuit et jour, qu’on dorme ou qu’on se lève. Mais au moment où l’on reçoit cette semence, n’est-il pas opportun d’y faire attention, de vérifier que nous sommes une bonne terre, où elle va pouvoir germer et fructifier ? Accueillir le mystère de la communion, c’est d’abord tourner nos cœurs vers la vie éternelle, creuser en nous le désir de cette plénitude, grandir dans l’espérance. Il ne serait pas inconvenant de faire un acte d’espérance juste après avoir communier.
Ensuite Jésus affirme : « celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui ». Le mystère de la présence appelle la présence à cette présence. Est-ce que nous sommes attentifs au Seigneur présent réellement en nous quand nous avons communié ? Je me souviens d’une grande cérémonie, où il y avait eu beaucoup trop d’hosties consacrées, et les ciboires avaient été déposés à la sacristie. La sacristine – c’était il y a longtemps dans une autre église – la sacristine était affolée et disait, « mais il y a le bon Dieu partout ». En fait, c’est vrai aussi au moment de la communion, mais à ce moment-là, le bon Dieu est d’abord en nous … n’est-ce pas à ce lieu que nous devons être attentifs ? Inutile de regarder ailleurs ce qui est en nous !
Enfin Jésus explique : « de même que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi ». Il y a donc entre Lui et nous une relation semblable à celle entre le Père et Lui ! Quel grand mystère que cette participation à la vie trinitaire. C’est bien à ce moment-là que nous sommes remplis de l’Esprit Saint, pour reprendre l’expression de saint Paul. Le mystère de la communion c’est une plongée dans le mystère trinitaire … ça vaut la peine de prendre le temps de le méditer et de le goûter !
Ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages, disait Saint Paul. Nous qui venons à la table dressée par la Sagesse, seront-nous assez attentifs pour accueillir le mystère de la présence réelle et assez disponible pour vivre le mystère peut-être plus grand encore de la communion ? Saurons-nous après avoir communier, tourner nos yeux vers la vie éternelle, nos cœurs vers la présence du Christ en nous, nos vies vers la vie trinitaire qui nous est ouverte ?
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Etoile du matin qu’elle fasse résonner en nous la promesse de la résurrection. Arche de la Nouvelle Alliance qu’elle nous rende attentifs à la présence qui vient à nous. Porte du Ciel qu’elle nous entraîne dans le grand souffle de l’Esprit pour que nous puissions participer à la vie divine, et demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Le Cantique de Marie
0815
Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie
Ap 11,19. 12, 1-6. 10 ; Ps 44 ; 1 Co 15,20-27a ; Lc 1, 39-56
Au cœur de l’été résonne la parole du Magnificat : « toutes les générations me diront bienheureuse ». Ainsi nous voilà réunis pour fêter l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, c’est-à-dire la fin de sa vie terrestre et le début de sa vie céleste. Les textes que nous venons d’entendre nous conduisent progressivement au sens de cette célébration. Il est assez intéressant de noter qu’ils nous invitent, en quelque sorte, à remonter le cours du temps, en commençant par l’Apocalypse qui termine le Nouveau Testament, pour terminer par le début de l’évangile qui le commence !
Naturellement, l’entrée de Marie dans la gloire céleste, évoque le signe grandiose apparu dans le Ciel, la femme couronnée d’étoiles et revêtue de soleil. Mais la lecture de saint Paul nous indique le sens et le fondement de l’événement à savoir la Résurrection du Christ. Si Marie entre dans la gloire avec son corps, c’est parce que le Christ est ressuscité. Marie suit le chemin que le Christ a ouvert, en étant déjà ce que nous serons. Il ne s’agit donc pas d’être des observateurs admiratifs d’un spectacle qui nous dépasse, mais de se sentir encouragés à poursuivre notre chemin, dans la direction indiquée à notre baptême, précédés par Marie. Et voilà que l’évangile nous invite à imiter Elisabeth en nous émerveillant : « d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » pour nous laisser conduire par le Cantique de Marie.
« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ». Tout commence par l’entrée dans cette plénitude de la joie. Tout en Marie rend gloire à Dieu. Nous ne pouvons pas comprendre l’Assomption si nous pensons que la vie en Dieu ne concerne qu’une partie de ce que nous sommes. L’homme n’est pas fait pour être divisé. Il n’y a pas d’un côté la vie spirituelle et de l’autre côté la vie matérielle, affective au sociale. Par la prière nous sommes invités à vivre déjà, dans le Seigneur, cette harmonie du corps et du cœur. Ce n’est pas un hasard si le sommet de notre relation à Dieu se vit dans l’eucharistie, une nourriture corporelle qui est nourriture spirituelle. L’Assomption nous invite à l’unité profonde de tout ce que nous sommes, à laisser la joie de la présence divine irriguer la plénitude de notre être.
« Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse ». Il y a dans cette affirmation quelque chose de lumineux qui efface toute tension entre l’humanité et la divinité. Trop souvent on pense glorifier Dieu en méprisant l’homme, ou bien en réaction, on pense honorer l’homme en l’éloignant de Dieu. Alors on a des gens qui se croient très pieux parce qu’ils se méprisent, d’autres qui se croient très grands à cause de leur orgueil. Marie témoigne du contraire. Ce n’est pas Dieu ou nous, c’est toujours Dieu et nous. La gloire de Dieu c’est l’amour et l’on n’aime pas ce que l’on méprise ! L’Assomption nous invite à contempler la grandeur de ce que nous sommes à la lumière de Celui qui nous aime.
« Déployant la force de son bras, il disperse les superbes ; il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ». Ces affirmations, que certains ont qualifié de venin révolutionnaire, contrastent avec le ton plutôt serein qui précédait. C’est que le combat spirituel, parfois douloureux, fait partie du chemin. On oublie trop souvent que face à la femme ayant le manteau pour soleil se trouve un autre signe, effrayant, le grand dragon, rouge feu. La gloire de Dieu n’est pas un long fleuve tranquille, c’est une victoire sur le péché. Parfois c’est le péché des autres qu’il faut affronter, mais rien ne peut se faire si l’on ne combat pas d’abord notre propre péché. L’Assomption est aussi une invitation à renverser ce qui s’oppose à Dieu, à disperser l’orgueil et les tentations de puissance.
« Il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères ». Le Magnificat se termine par une évocation de la fidélité de Dieu. Cette fidélité qui est le déploiement de l’éternité dans le temps. C’est la raison pour laquelle la mémoire est essentielle à la vie spirituelle. C’est elle qui permet de reconnaître ce qui demeure, c’est elle qui permet de mesurer les progrès. La fidélité du Seigneur appelle notre fidélité en réponse, sans nostalgie enfermée dans le passé, sans inconstance soumise aux caprices de l’instant, sans insouciance s’abusant des illusions du futur. L’Assomption nous inscrit dans l’histoire du salut en nous rappelant ce que nous serons.
Ainsi contemplant le grand signe apparut dans le ciel, nous avançons à la suite du Christ Ressuscité, conduit par le Cantique de Marie, pour que la joie du Seigneur nous unifie, pour que la présence de Dieu nous illumine, pour que fortifiés dans le combat spirituel nous puissions goûter la gloire de l’éternité.
Que la Bienheureuse Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous accompagne et nous guide en ce jour où nous fêtons son Assomption. Humble Servante du Seigneur qu’elle nous apprenne à nous laisser aimer ; Arche de la Nouvelle Alliance qu’elle ouvre nos vies à la présence de Dieu. Reine du Ciel qu’elle fortifie notre fidélité pour que nous puissions demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Ne pas gaspiller le don de Dieu
19TOB
19° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
1 R 19, 4-8 ; Ep 4, 30-5,2 ; Jn 6, 41-51
L’histoire d’Elie dans le désert est très parlante : il vient de massacrer 450 prophètes protégés par la reine lors d’une sorte de concours de sacrifices sur le mont Carmel. C’était pour la gloire de Dieu, sans doute, mais c’est une gloire qui lui coûte cher puisqu’il doit fuir l’hostilité des puissants. Et le voilà qui s’enfonce dans le désert pour aller jusqu’à la montagne du Seigneur. L’épreuve est ardue, au-dessus de ses forces. Heureusement un ange lui apporte de quoi se restaurer et aller jusqu’au bout du chemin. Mais la première fois, Elie, après avoir mangé et bu, se rendort. Il faut que l’ange le réveille une deuxième fois et lui dise que le don de Dieu n’est pas fait pour se laisser mourir mais pour qu’il puisse parcourir le reste du chemin. C’est une image saisissante que l’ange doive s’y reprendre à deux fois pour que Elie se remette en route. Elle nous avertit d’un risque : celui de gaspiller le don de Dieu.
Le premier don que nous recevons, c’est la Parole du Seigneur. Dans l’évangile Jésus prévient : « quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi ». Comme pour éviter qu’écoutant la Parole de Dieu, on ne bouge pas. Car la Parole de Dieu n’est pas un simple monument littéraire, elle n’est pas non plus un alibi pour conforter nos opinions, ni même le guide d’une vie tranquille. La Parole de Dieu est d’abord une promesse qui nous montre le chemin à parcourir pour aller à la rencontre du Seigneur. Si, quand nous lisons la Bible, nous en restons aux idées et aux principes ; si elle n’est qu’un récit ou un recueil de valeurs ; si la Parole de Dieu ne nous fait pas progresser vers le Seigneur, alors c’est que nous nous sommes recouchés après l’avoir entendue. Le don de la Parole est pour l’espérance, pour faire grandir en nous le désir de la vie éternelle et l’assurance du salut. La Parole ne nous est pas donnée pour que nous restions sur place mais pour que nous avancions vers l’éternité.
Le discours du pain de vie, dont l’évangile d’aujourd’hui est le commencement, et qui nous guidera tout au long du mois, nous invite aussi à considérer un autre don de Dieu : l’eucharistie, le corps du Christ. Pourquoi nous est-il donné, si ce n’est pour la foi ? L’eucharistie est beaucoup plus qu’un symbole ou un rituel, elle est une présence mystérieuse et réelle. Si nous ne voulons pas croire que nous recevons le Christ lui-même dans l’hostie, ce n’est pas la peine de la recevoir ! Sans doute est-ce que ce n’est pas évident, sans doute est-ce que cela dépasse ce dont nous avons l’habitude, mais justement, c’est bien pour cela que recevoir l’eucharistie est un acte de foi. Car pour reconnaître le Corps et le Sang du Christ dans le pain et le vin consacrés, il faut accepter que l’invisible nous dépasse même quand nous nous en approchons. Si l’Eucharistie ne nous rend pas plus attentifs à la présence du Christ, alors c’est que nous nous sommes recouchés après l’avoir reçue. Le don de l’Eucharistie est pour la foi, pour faire grandir en nous la confiance et la disponibilité à Dieu. L’Eucharistie ne nous est pas donnée pour que nous restions sur place mais pour que nous avancions dans la présence à la présence.
Enfin, la deuxième lecture évoquait aussi l’Esprit-Saint qui est le Don de Dieu par excellence. Et saint Paul donnait cet avertissement poignant : « n’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu ». C’est toujours la même dynamique dont nous sommes prévenus : ne pas gaspiller le don de Dieu. Le sceau de l’Esprit Saint n’est pas une médaille que nous avons reçue au baptême et à la confirmation. C’est un souffle dont nous sommes rendus capables, encore faut-il éviter toute espèce de méchanceté comme disait l’apôtre. Parce que l’Esprit-Saint nous est donné pour que nous puissions imiter Dieu et aimer comme il aime. Si l’Esprit-Saint ne nous fait pas grandir dans la charité, alors c’est que nous nous sommes recouchés au lieu de nous laisser entrainer. Le Don de Dieu est pour la charité, pour élargir notre cœur aux dimensions du cœur de Dieu et nous rendre toujours plus ressemblant au Père des miséricordes.
Oui, l’image d’Elie qui se recouche une première fois, après avoir mangé et bu ce que lui apportait l’ange dans le désert nous prévient de ne pas gaspiller le don de Dieu, mais de le recevoir en acceptant qu’il serve à nous faire progresser dans l’espérance, dans la foi et dans la charité.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Porte du Ciel qu’elle nous encourage à nous laisser guider par la Parole de Dieu. Arche de la Nouvelle Alliance qu’elle nous fortifie dans la foi pour que nous puissions reconnaître la présence du Christ auprès de nous. Mère du Bel Amour qu’elle nous entraine dans le souffle de l’Esprit pour que nous puissions aimer comme nous sommes aimés, et demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Les Dupont dans le désert
18TOB
18° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Ex 16.2-4 12-15 ; Ps 77 (78) : Ep 4.17.20-24 ; Jn 6.24-35
« Frères vous ne devez plus vous conduire comme les païens ». On comprend aisément la remarque de saint Paul aux Éphésiens, quand on la situe dans le contexte de l’époque. Mais il faut reconnaître que cette invitation est toujours pertinente, même si deux mille ans d’histoire chrétienne ont rendu peut-être moins courant le paganisme. Qu’est-ce que l’apôtre reproche aux païens ? De se « laisser guider par le néant de leur pensée ». Mais pourquoi leur pensée est-elle vaine ? Parce qu’ils vivent selon l’homme ancien « corrompu par les convoitises qui entrainent dans l’erreur ». Ainsi, alors que tout sage sait qu’il faut se laisser conduire pas sa pensée plutôt que par ses passions qui sont éphémères et donc décevantes, lorsque la convoitise corrompt la pensée, quand les désirs induisent en erreur, celui qui croyait échapper aux caprices des passions se retrouve guidé par les erreurs que produisent ces mêmes passions.
C’est une situation qui rappelle celle des Dupont dans le désert : ils rejoignent des traces et se réjouissent de retrouver ainsi une piste. Mais comme ils tournent en rond et que ce sont leurs propres traces qu’ils ont rejointes, plus ils sont rassurés, moins ils sont sortis d’affaire ! C’est l’image de l’erreur qui se nourrit elle-même et aggrave la situation. Le récit de l’Exode comme le dialogue qui inaugure le discours du pain de vie, nous donnent l’exemple de pareils pièges.
D’abord il y a la récrimination du peuple dans le désert. On comprend que la situation est difficile, alors le peuple regrette le temps où ils étaient esclaves : au moins, disent-il les marmites étaient pleines de viande et le pain abondant. Serait-on devant un dilemme philosophique classique où l’on se demande s’il vaut mieux une liberté difficile ou un esclavage confortable ? Sauf que le peuple regrette un temps qui n’existait pas ! Quand ils étaient en Égypte les marmites n’étaient pas pleines et le pain n’était pas abondant ! Ils étaient accablés de travail et quand ils protestaient on le rendait plus pénible ! Le premier piège, c’est la nostalgie, les faux souvenirs. C’est regretter un temps qui n’existait pas ; croire que le passé était doux sous prétexte que le présent est dur. Alors forcément, plus on regrette la douceur imaginée, plus il est difficile de supporter les difficultés. Le chrétien sait, ou devrait savoir, que le paradis est devant lui et non pas derrière lui ! Et comme le montre le récit de la manne, ce qui fait tomber dans le piège de la nostalgie c’est le manque de confiance en Dieu.
Et cela nous amène à une deuxième situation, celle de l’évangile. On se souvient – c’était la lecture de la semaine dernière – que Jésus vient de nourrir 5 000 hommes avec 5 pains et qu’il est resté 12 paniers. On pourrait penser que ceux qui ont assisté et profité de cette multiplication des pains restent impressionnés par l’aventure. Sauf que, quand Jésus leur propose de croire en lui, ils demandent un signe … et comble d’ironie ils évoquent le signe de la manne, c’est-à-dire du pain miraculeux. Ainsi, ils attendent ce qu’ils ont déjà eu. Voilà un nouveau piège du type des Dupont dans le désert : celui de la conditionnalité. Quand on pose des conditions au Seigneur, il y a de fortes probabilités qu’on ne soit jamais satisfait. Le chrétien ne décide pas ce qui vient de Dieu, il s’efforce de le reconnaître. Car, comme le montre l’histoire de ceux qui ont profité de la multiplication des pains, ce qui fait tomber dans le piège de la conditionnalité c’est le manque de reconnaissance du don de Dieu.
Enfin, il y a un troisième piège qui fait tourner en rond. Il apparait dans le dialogue que rapporte l’évangile. Les gens semblent de bonne foi : « que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » demandent-ils. Jésus leur répond qu’ils doivent croire, ce qui n’est pas le travail le plus difficile du monde, pourtant ils réclament un signe et demandent « quelle œuvre vas-tu faire ? ». Mais alors, qui doit agir ? Est-ce l’homme qui fait pour Dieu ou Dieu qui fait pour l’homme ? Ils inversent la charge et exigent ce qu’ils doivent. C’est le piège de la confusion où l’on attribue à l’homme l’œuvre de Dieu et qu’on exige de Dieu qui fasse l’œuvre des hommes. Attendre de Dieu qu’il agisse à notre place ne peut créer que de la déception. Au contraire, pour sortir du piège de la confusion, il faut rester disponible à la Parole de Dieu.
Ne plus se conduire comme des païens, cela signifie éviter de tourner en rond comme les Dupont dans le désert. C’est éviter le piège de la nostalgie en grandissant dans la confiance en Dieu ; c’est éviter le piège de poser des conditions au Seigneur en sachant reconnaître ce qu’il nous donne ; c’est éviter le piège de la confusion en restant disponible et sa Parole.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Consolatrice des affligés qu’elle renforce notre confiance en Dieu ; Secours des chrétiens qu’elle nous encourage à reconnaître le don de Dieu ; Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à rester disponibles à la Parole pour que nous puissions demeurer en Dieu comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.