la possibilité d'une méprise
17TOB
17° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
2 R 4,42-44 ; Ps 144 ; Ep 4,1-6 ; Jn 6,1-15
On comprend facilement que la multiplication des pains ait frappé ceux qui y ont assisté et qu’elle soit restée dans la mémoire. On en retrouve le récit dans chacun des quatre évangiles avec chaque fois les mêmes détails des cinq pains et des deux poissons, les cinq mille hommes à nourrir et les douze paniers qui restent à la fin. Pourtant seul saint Jean termine en disant que Jésus s’enfuit pour éviter qu’on se saisisse de lui et le porte au pouvoir. Comme s’il nous avertissait de la possibilité d’une méprise.
Il y a déjà une première méprise dans le dialogue entre Jésus et Philippe. Le Seigneur demande « où pourrions-nous acheter du pain » et l’apôtre lui répond « nous n’avons pas assez d’argent pour cela ». C’est qu’il y a deux types de partages. Soit partager, c’est diviser, soit partager, c’est multiplier. Quand on partage des biens, il faut les diviser ; quand on partage des valeurs on les augmente. Partager un gâteau et partager une bonne nouvelle sont deux dynamiques différentes, et même pourrait-on dire opposées. Comme au temps d’Élisée, Jésus nous invite au partage qui multiplie. A nous attacher donc à ce qui demeure plutôt qu’à ce qui passe, comme le disait la prière d’ouverture. La multiplication des pains nous propose d’attendre du Seigneur ce qui se communique dans le partage plutôt que ce qui diminue.
Ensuite, il y a une autre méprise possible, qui vient de l’abondance, et même de la surabondance du don de Dieu. « Que rien ne se perde » demande Jésus. Il ne s’agit pas simplement d’éviter le gaspillage, mais de changer nos critères de valeurs. Alors que l’on pourrait considérer que c’est la rareté qui fait la valeur des choses, voilà que le Seigneur invite à prendre soin de ce qui est en surplus. Certains pères de l’église ont commenté en soulignant que les cinq pains représentaient les cinq livres de la Loi, et que les douze paniers représentent le témoignage des douze apôtres envoyés dans le monde entier. On passe donc d’un trésor réservé à un petit groupe à un trésor offert à tous les peuples. La multiplication des pains manifeste qu’on passe d’une richesse de privilégiés à une richesse de multitude : ce qui est le plus important n’est pas ce que les autres n’ont pas mais ce que tous reçoivent.
Enfin, il y a cette dernière méprise, du peuple cherchant à enlever le Seigneur pour en faire son roi. On comprend combien serait confortable une situation où il est si facile de nourrir cinq mille hommes. Mais la providence de l’état n’est pas celle de Dieu. Le don reste un don et non pas un du. Il est tentant de se saisir du Seigneur pour l’utiliser à notre profit, comme s’il était à notre disposition. Mais ça n’est pas l’homme qui dispose de Dieu selon ses besoins ; la grâce n’est pas à notre service, c’est nous qui devons rester disponibles au Seigneur. La multiplication des pains ne doit pas nous conduire à exiger de la puissance divine mais à lui faire confiance. On se souvient d’ailleurs que Jésus n’a pas multiplié à partir de rien, mais à partir de ce qu’on lui a apporté. La bonté de Dieu est une invitation à participer, et non pas un encouragement aux réclamations.
Il y a bien quelque chose d’admirable dans la multiplication des pains, mais nous devons prendre garde de ne pas nous tromper sur le cœur de Dieu. Sa sollicitude nous propose ce qui se multiplie et non pas ce qui se divise, sa générosité n’est pas un privilège mais une plénitude, sa bonté nous invite à le rejoindre pour le suivre et non pas à le retenir pour en profiter.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Trône de la Sagesse, qu’elle nous apprenne à préférer le partage qui multiplie plutôt que celui qui divise. Arche de la Nouvelle Alliance, qu’elle nous attache à ce qui demeure plutôt qu’à ce qui passe. Mère du Bel amour, qu’elle nous encourage à reconnaître le don de Dieu pour que nous puissions avec confiance garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix, et demeurer en Dieu comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
En sa personne il a tué la haine
16TOB
16° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Jr 23,1-6 ; Ps 22 ; Ep 2,13-18 ; Mc 6, 30-34
Quel contraste dans l’évangile entre le début et la fin du récit ! Au début, on est au milieu d’une foule agitée et tumultueuse : « ceux qui arrivaient et ceux qui partaient était nombreux et on n’avait même pas le temps de manger », alors Jésus propose de s’éloigner. Mais en arrivant de l’autre côté, il y a une grande foule et Jésus est saisi de compassion, il se met à les instruire longuement … donc on imagine bien qu’il règne un grand silence pour écouter le Seigneur.
Ainsi nous avons deux images de la foule : celle agitée, ou l’on va et l’on vient, et dont Jésus s’extrait ; et celle attentive, en recherche, à laquelle il enseigne longuement. Ainsi la Parole du Seigneur rassemble et unifie ce peuple qui était comme des brebis sans berger, un écho de la prophétie de Jérémie où Dieu promettait d’être celui qui rassemble les brebis dispersées par les mauvais pasteurs. C’est aussi l’idée de rassemblement qui résonne dans la lettre aux Éphésiens où l’apôtre souligne combien le Christ a réconcilié l’irréconciliable par sa croix. On aura compris que nous sommes invités aujourd’hui à méditer sur l’église comme rassemblement non seulement pour le Christ, mais par le Christ. Jésus n’est pas seulement le motif qui nous rassemble, mais l’acteur de notre unité. Et pour l’illustrer saint Paul a une expression qui mérite qu’on s’arrête un peu : « en sa personne, il a tué la haine ». Comment la croix du Christ a-t-elle tué la haine ?
Une première explication, c’est que Jésus est mort pour tous. Son sacrifice n’est pas au profit d’un petit groupe mais de l’humanité. C’est la générosité qui refuse les divisions et supprime la haine car ce n’est pas tant la haine qui crée la division que les divisions qui provoquent la haine. Si l’Église est catholique – c’est-à-dire universelle – c’est précisément parce que le salut est pour tous et qu’il n’y a pas de division qui tienne devant le don de Dieu. Quand le Christ est plus important que toutes nos différences, la haine n’a plus de raison d’être.
Mais on peut approfondir. Car la croix est aussi l’image de la condamnation de l’innocent. C’est la peine la plus dure infligée à celui qui la mérite le moins ! Il y a quelque chose de terrible dans la passion qui relève de l’injustice suprême. Il faut veiller à ne pas trop s’habituer à la croix sous cet aspect-là. Il n’y a rien de plus injuste que la mort du Christ en croix : rien ne peut la justifier. Rien ne peut même l’expliquer si ce n’est peut-être la haine de ceux qui l’ont condamné. Aussi la Croix est-elle le rappel de l’injustice et de la malice de la haine. La haine n'est pas le moteur de l’action ou de la justice, comme le prétendent certain : elle est le poison de la vie.
Enfin, nous savons que si la Croix nous réconcilie avec Dieu, c’est que le Christ s’est offert lui-même. Cet aspect d’offrande est évidemment essentiel dans la puissance réconciliatrice de la Croix, parce qu’il brise le cercle infernal de la réciprocité. Les divisions se perpétuent et se creusent à cause de la réciprocité : quand on considère qu’on doit infliger au moins autant de souffrance qu’on en a subi. Mais alors, il n’y a aucune raison que cela s’arrête, sauf si à un moment quelqu’un accepte de ne pas rendre le mal pour le mal. Et ce moment est arrivé par le Christ. Et c’est ce qui a tué la haine car quand on refuse la vengeance, on est bien obligé d’abandonner la haine.
Ainsi nous voilà rassemblés aujourd’hui pour écouter la parole de Dieu et recevoir le don de sa vie. Nous savons bien que c’est le Christ qui nous rassemble puisque nous sommes réunis en mémoire de lui. Mais nous sommes aussi rassemblés par le Christ, car il a fait de nous un seul corps en nous rendant capable de lui ressembler. Si nous reconnaissons qu’il est notre berger, nous devons nous-aussi tuer la haine dans nos cœurs puisqu’il l’a rendu vaine, qu’il en a montré l’injustice et l’inutilité.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Mère de l’Église qu’elle nous apprenne à aimer aux dimensions du cœur de Dieu. Consolatrice des affligés qu’elle nous soutienne dans la recherche de la vraie justice. Reine de la paix qu’elle nous encourage à suivre le Christ dans nos paroles comme dans nos actes pour que nous puissions demeurer en lui comme il demeure en nous dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Ce qui rend triste le Seigneur
14TOB
14° Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
Ez 2,2-5 ; Ps 122 ; 2 Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6
Les hasards de la lecture suivie de l’évangile de Marc nous proposent aujourd’hui un texte particulièrement contrariant. Si nous voulions commencer la période estivale dans la douce torpeur de l’insouciance, nous ne sommes pas particulièrement encouragés par la Parole de Dieu ! Il est vrai que l’actualité politique ne nous y aide pas non plus ! Mais, faisons contre mauvaise fortune bon cœur, et affrontons avec courage ce que le Seigneur veut nous dire aujourd’hui.
Il s’agissait du passage de Jésus dans son lieu d’origine, donc à Nazareth. Là, malgré l’étonnement qu’il suscite, il se retrouve face à l’hostilité de ceux qui pensent le connaître. Et – dit l’évangéliste – il ne pouvait accomplir aucun miracle, à peine la guérison de quelques malades. Et il s’étonna de leur manque de foi. Cette remarque est bouleversante. Le Seigneur a beau connaître les pensées des hommes, il est étonné par le manque de foi. On pressent facilement que cet étonnement est rempli de tristesse : Dieu ne peut pas agir à la mesure de son cœur. Il ne peut pas faire le bien qu’il voudrait, parce que les hommes le refusent.
C’est donc d’abord le manque de foi qui rend triste le Seigneur. Dieu ne veut pas faire notre bonheur sans nous. Pour qu’il puisse agir dans nos vies, il faut lui faire confiance. En général, c’est la connaissance qui permet la confiance. Si je sais que quelqu’un est capable d’une chose, je peux la lui demander. Parfois il y a une part de risque : je n’en suis pas sûr, mais je pense que la personne en est capable, alors j’en fais le pari. En vérité, la confiance se joue, précisément sur cette part de risque. Voilà pourquoi il faut distinguer la connaissance qui enferme et la connaissance qui ouvre de nouvelles possibilités. A Nazareth, les auditeurs de Jésus ont des préjugés : n’est-il pas le charpentier ? Sa famille n’est-elle pas des nôtres ? Ils pensent que Dieu ne peut pas être de chez eux ! Alors voilà la question qui nous est posée : faisons-nous confiance à Dieu ? Est-ce que nous ne l’enfermons pas dans nos idées, décidant nous-mêmes ce qu’il peut faire, voire ce qu’il doit faire. La foi est l’aventure d’une confiance, elle est une manière de se rendre disponible à être étonné par le Seigneur. L’écoute de la parole de Dieu doit nous faire grandir dans une connaissance qui permet la confiance.
Dans la première lecture, Ézéchiel, illustrait une autre chose qui rend triste le Seigneur. « Ils ont le visage dur et le cœur obstiné ». Il ne s’agit plus simplement d’un manque de foi, mais d’un refus. « Une nation de rebelles qui s’est révoltée ». Le peuple n’a pas simplement cru que Dieu ne pouvait pas les aider, il a refusé qu’il les aide. Les signes de ce refus sont la dureté et l’obstination. Il faut se méfier de la dureté et de l’obstination. « Heureux les doux » dit Jésus dans les béatitudes. Je sais bien que dans les difficultés, se durcir ou s’obstiner sont des moyens de se protéger, mais on ne se protège pas de Dieu ! Alors que va faire le Seigneur face aux visages durs et aux cœurs obstinés ? Il parle quand même : « qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas ». Ce n’est pas la conduite des hommes qui guide celle de Dieu. Il ne cherche pas à séduire ou à plaire, il ne cherche pas à manipuler mais il s’affirme, en nous laissant toujours une chance de l’écouter. Sa parole ne se tait pas sous prétexte qu’on ne l’écoute pas. Dieu s’obstine lui aussi, direz-vous. Si vous voulez. Mais alors, entre l’obstination de Dieu et notre obstination laquelle triomphera à votre avis ?
Voilà pourquoi le témoignage de saint Paul, dans la deuxième lecture, est éclairant. Il a fait l’expérience de la confiance en Dieu. « Un envoyé de Satan est là pour me gifler » dit-il, on ne sait pas très bien ce qu’est cette écharde dans la chair. Beaucoup, au long des siècles, ont essayé de l’imaginer, mais en vérité, ça ne nous regarde pas ! Ce qui nous regarde c’est qu’il aurait bien voulu être épargné, il aurait bien voulu être parfait et sans reproche. Et qui d’entre-nous ne le voudrait pas ! Il a même demandé trois fois au Seigneur de le guérir de cette humiliation. Mais la parole lui indique : « ma grâce te suffit ». Alors il a accepté, il a fait confiance. Ce qui compte pour lui, c’est que la puissance du Christ puisse demeurer en lui, même au prix de la faiblesse. Il n’y a plus, ni dureté, ni obstination, mais seulement la confiance. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ». Il y a quelque chose de très mystérieux dans cette affirmation, quelque chose qui nous désarçonne, mais qui est le secret de la foi et c’est sans doute la seule façon de laisser Dieu agir en nous, parce que nous savons bien alors que ce n’est pas nous qui agissons, mais le Seigneur.
Et nous ? A qui ressemblons-nous ? Aux habitants de Nazareth dont le manque de foi étonne le Seigneur ? Au peuple qui a le visage dur et le cœur obstiné vers qui Ézéchiel est envoyé ? Ou bien ressemblons-nous à saint Paul qui accepte de bon cœur pour le Christ, les faiblesses, les contraintes, les situations angoissantes pour que sa puissance demeure en lui ?
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous évite d’attrister le Seigneur. Secours des chrétiens qu’elle nous apprenne à faire confiance à Dieu. Trône de la sagesse qu’elle nous préserve de la dureté et de l’obstination. Consolatrice des affligés qu’elle nous rende disponibles à la puissance du Christ, pour que nous demeurions en Lui, comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.