Les libertés illusoires
13TOC
13° Dimanche du Temps Ordinaire - Année C
1 R 19,16b.19-21 ; Ps 15 ; Ga 5,1.13-18 ; Lc 9,51-62
Il y a quelque chose d’un peu étonnant dans les conseils de saint Paul aux Galates lorsqu’il leur recommande de ne pas se mettre à nouveau sous le joug de l’esclavage. Comme si la liberté était une attitude plus qu’une situation. En les avertissant de rester dans l’appel à la liberté, il les prévient que celle-ci peut se dissoudre en s’égarant. C’est vrai qu’il existe des libertés trompeuses, qui sont des servitudes déguisées. L’image qui me parle le mieux de ces fausses libertés, c’est la scène d’un film où l’on voit un homme passablement éméché devant la grille entourant l’obélisque de la place de la Concorde à Paris. Indigné de se trouver devant une grille, il l’escalade pour se retrouver à l’intérieur de l’enclos, où il s’écrit : “enfin libre” alors qu’il se trouve plutôt enfermé ! Ainsi il peut nous arriver de nous croire libérés au moment même où l’on s’enchaîne. Voyons donc comment le Christ nous invite à la vraie liberté en démasquant les fausses libertés.
L’Apôtre parle d’abord de l’égoïsme. C’est que la liberté égoïste en prétendant n’obéir qu’à notre seul intérêt nous rend esclave de nos désirs. Celui qui veut être son seul maître se retrouve surtout son propre esclave. L’égoïsme nous enferme dans l’espace restreint de notre mesure. C’est une liberté limitée, comme une petite bulle de confort à l’image du terrier des renards ou du nid des oiseaux. Le Christ au contraire nous invite à la foi. Une confiance librement consentie dans sa parole qui élargit nos horizons aux dimensions du cœur de Dieu. A la manière d’Élisée recevant le manteau d’Elie, la foi nous entraîne dans le souffle de l’Esprit Saint.
Ensuite, l’évangile rapporte la consigne du Seigneur de ne pas regarder en arrière. C’est que la nostalgie est une autre illusion de liberté. Elle est d’autant plus terrible qu’elle agit comme un mirage en nous faisant croire que nous avons perdu ce qui nous attend ! La liberté nostalgique nous enchaîne au poids de l’histoire qui est d’autant plus lourd qu’elle nous fait rêver d’un passé idéal oubliant les épreuves et les difficultés surmontées. Au contraire le Christ appelle à contempler le Royaume de Dieu, qui est devant nous. C’est ce qu’on appelle la vertu d’espérance : reconnaître que notre avenir est en Dieu et que la plénitude de notre vie est à venir.
Enfin Jésus nous montre l’exemple dans la rencontre avec les samaritains qui refusent de le recevoir. Jacques et Jean prétendent alors faire tomber le feu du ciel pour marquer leur puissance, comme si la liberté se devait d’être une épreuve de force où l’on ne s’épanouit qu’en dominant les autres. Cette liberté agressive est aussi une illusion puisqu’elle précipite dans l’escalade de la violence où l’hostilité répondant à l’hostilité, la victoire demeure sous la menace de la revanche. Au contraire comme le rappelait saint Paul, le Christ nous invite à l’amour de charité qui consiste d’abord à se mettre au service les uns des autres. Et si le principal est de donner, quand l’un refuse, on part pour un autre village où d’autres accueilleront ce que les premiers n’ont pas voulu.
C'est la foi qui nous libère de la liberté égoïste, c'est l'espérance qui nous libère de la liberté nostalgique, c'est la charité qui nous libère de la liberté agressive. Puisque nous avons suivi le Christ faisons lui confiance : en nous ouvrant à la présence de Dieu il nous permet de ne pas nous enfermer dans la satisfaction de notre seul intérêt. Puisqu’il nous a promis la vie divine, avançons vers le Royaume de Dieu. Imitons son exemple en vivant sous le signe de l’amour et du service mutuel. Ne nous trompons pas de liberté mais rejetons les chaînes de l'égoïsme, de la nostalgie et des conflits pour être vraiment libres.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Arche de la Nouvelle Alliance, qu'elle nous apprenne à grandir dans la Foi. Porte du Ciel qu'elle nous soutienne dans l'Espérance. Mère du Bel Amour qu'elle nous accompagne en vivant dans la Charité pour que nous puissions accueillir le don de Dieu et demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.
Dieu se remet entre nos mains
TO-CSXC
Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ - année C
Gn 14,18-20 ; Ps 109 (110) ; 1 Co 11,23-26 ; Lc 9,11b-17
Même si la poussière des ans a obscurci le talent du peintre, ceux qui parmi nous ont de bons yeux … ou de bons guides de la cathédrale, se seront peut-être demandé pourquoi, dans la chapelle du Corpus, le grand tableau à droite, représente la rencontre entre Abraham et Melkisédek. Si besoin était, la réponse est donnée par les lectures du jour puisque c’est le premier texte que nous avons lu. Ainsi cette rencontre entre le père des croyants et le prêtre du Très-Haut est une figure eucharistique.
Je sens votre curiosité aiguisée sans pour autant renoncer à la logique. En quoi donc la rencontre d’Abram et de Melkisédek est-elle une figure eucharistique ? Sans doute la nature du sacrifice offert pour célébrer la victoire n’est-elle pas pour rien : le roi de Salem offre en effet du pain et du vin, ce qui nous rappelle quelque chose ! Mais il est intéressant aussi de noter que Melkisédek est, dans l’histoire biblique, le premier prêtre … et pour la première fois dans la Bible aussi, c’est un homme qui bénit alors que jusqu’à présent c’était le Seigneur lui-même qui bénissait … Il y a donc bien quelque chose qui annonce l’alliance entre Dieu et les hommes sous le signe du pain et du vin.
Évidemment, il ne s’agit que d’une figure, c’est-à-dire de quelque chose qui annonce et fait comprendre une partie du mystère. De la même manière la multiplication des pains que nous avons entendue dans l’évangile est aussi une figure de l’Eucharistie. On le voit clairement aux mots employés : « Jésus prit les cinq pains (et les deux poissons) et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction, les rompit et les donna à ses disciples » …là encore ça nous rappelle quelque chose ! Et pour ceux qui hésiteraient encore, la deuxième lecture rappelle justement l’institution de l’Eucharistie, qui à l’époque de saint Paul est déjà vécue régulièrement par les chrétiens, puisqu’il en souligne le sens et l’origine : « j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis ».
Ainsi, la liturgie de la Parole éclaire d’une manière particulière le mystère que nous célébrons aujourd’hui. Elle nous rappelle la confiance que Dieu nous fait en se remettant entre nos mains. Dieu se rend présent à nous dans la simplicité, et même dans la banalité du pain et du vin. Mais cette présence nous sollicite et nous engage. Sa bénédiction d’Abraham passe par les mots de Melkisédek, et Jésus demande aux apôtres : « donnez-leur vous-mêmes à manger ». Bien sûr, c’est toujours la puissance du Seigneur qui se déploie, mais elle est confiée à l’action des hommes.
C’est déjà un grand mystère que de réaliser cette confiance du Très-Haut qui se remet entre nos mains. Et nous pouvons déjà nous émerveiller de cette prévenance de Dieu qui se rend à ce point accessible. Mais nous pouvons comprendre qu’à cette confiance du Seigneur doit répondre une disposition particulière de l’homme qui d’une certaine manière devient responsable du Don de Dieu. Cependant cette responsabilité ne concerne pas seulement ceux qui sont chargé de distribuer la grâce en son nom. C’est pourquoi saint Paul rappelle aux Corinthiens leur propre responsabilité : « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » et le texte continue par un verset qu’il est un peu dommage qu’on ne lise jamais à la messe : « Et celui qui aura mangé le pain ou bu la coupe du Seigneur d’une manière indigne devra répondre du corps et du sang du Seigneur ».
Fêter le Saint-Sacrement, ce n’est pas seulement s’extasier devant la grandeur du trésor qui nous est proposé, c’est aussi accepter que ce qui nous est donné nous engage. Si Dieu se remet entre nos mains, ce n’est pas pour nous gonfler de l’orgueil d’une faveur inouïe, c’est pour que nous puissions témoigner de son amour généreux. Il ne suffit pas de multiplier les gestes de vénération : c’est ce tout ce que nous faisons et tout ce que nous sommes qui doit retentir de sa Parole et resplendir de sa Présence.
Que la Vierge Marie, Avocate des Toulonnais, nous apprenne à recevoir le Corps du Christ. Arche de la Nouvelle Alliance qu’elle ouvre nos cœurs à la présence de celui qui se donne à nous. Trône de la Sagesse qu’elle nous montre comment se laisser transformer par le Don de Dieu. Mère du Bel Amour qu’elle nous fasse rayonner de ce que nous avons reçu, pour que nous puissions demeurer en lui comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles.