11° Dimanche du Temps Ordinaire - Année C
Ceux qui ont un peu de culture régionale se souviennent sans doute de la fameuse réplique lors de la partie de cartes de Marius : « tu me fends le cœur ». Bien sûr il ne s'agit pas ici de tromper la vigilance de Panisse tout en adressant un message à Escartefigue, mais il n'en reste pas moins que cela pourrait être un bon résumé de la parole de Dieu que Nathan transmet à David.
Et l'on peut comprendre l'amertume du Seigneur : il a tout donné à David, il est même prêt à lui en donner encore plus. Mais en faisant ce qui est mal aux yeux de Dieu, David a méprisé son bienfaiteur. « Tu me fends le cœur » c'est d'abord le reproche de l'offensé, de celui qu'on « espiche comme un scélérat » pour reprendre les mots de Pagnol. Et il faut bien reconnaître que, souvent, on n’apporte pas à Dieu toute la considération qu’il mérite. Il ne faut pas confondre la miséricorde et l’indulgence ni même la tolérance. La miséricorde ne diminue pas la gravité du péché, le pardon ne rend pas bien ce qui est mal … On ne peut pas comprendre la miséricorde si l’on ne réalise pas à quel point notre péché brise le cœur de Dieu. Comme le disait saint Paul, il ne s’agit pas d’observer la loi, mais de croire … le péché n’est pas simplement une contravention à la loi, sanctionnée plus ou moins sévèrement par un juge qui doit être impartial, il s’agit d’un manque de confiance en Dieu, d’un mépris de lui. Il faut entendre ce reproche qui revient obstinément dans les impropères : que t’ai-je fais, oh mon peuple ? Ce reproche douloureux est le premier aspect de la miséricorde.
« Tu me fends le cœur » c'est encore le constat du miséricordieux, de celui qui ne reste pas insensible à la misère de l'autre, qui ne se blinde pas dans un cœur de pierre. C’est le regard que Jésus aurait bien aimé trouver chez le pharisien devant la pécheresse en pleurs le couvrant de baisers. La miséricorde n’est pas dans le jugement, mais dans la compassion, même si cela doit nous déranger, même si cela doit nous remettre en question. La miséricorde refuse de se réfugier dans l’indifférence ou l’impuissance, mais elle se manifeste dans la bienveillance et dans l’engagement. Dieu n’a pas voulu nous laisser englués dans la misère de la condition humaine, par son incarnation et par sa rédemption, il est venu jusqu’à nous pour nous rassembler et nous retrouver. L’ouverture à l’autre, la main tendue est le deuxième aspect de la miséricorde.
« Tu me fends le cœur » c'est enfin la réponse du pêcheur repentant, de David reconnaissant son péché et sa faute, c’est aussi l’attitude humble et affectueuse de la pécheresse s’approchant de Jésus. Parce que la miséricorde reçue permet la miséricorde donnée, parce que l’amour reçu permet l’amour donné. C’est en reconnaissant que Dieu est miséricordieux que nous pouvons devenir miséricordieux, pour nous et pour les autres, dans un repentir qui ne cherche ni excuse ni justification, mais qui se laisse aimer pour aimer davantage. La miséricorde transforme et se transmet.
En cette année de la miséricorde on pouvait difficilement trouver des textes plus inspirants que ceux que nous venons d'entendre. La miséricorde n'est pas l'indulgence : elle est un cœur brisé devant la misère. Parce qu’elle nous fait souffrir, qu’elle nous stupéfie ou qu’elle nous interpelle toute misère nous atteint directement ou indirectement ; et la miséricorde n'accepte pas d'ignorer ce qui ne va pas, ce qui ne devrait pas être, ce qui est à regretter. La miséricorde est aussi le cœur sensible qui se laisse toucher, qui ne se réfugie pas dans l'indifférence ou la fatalité pour s'épargner la souffrance, pour éviter d'avoir à changer ses projets ou nuancer ses principes. La miséricorde enfin ouvre à la miséricorde elle adoucit le cœur de pierre pour qu'il ne se drape pas dans l'illusion de l'orgueil pour qu'il puisse entrer dans le dialogue de l'amour où l’on se donne en reconnaissant qu’on a reçu. Bien loin de la galéjade, le soupir douloureux « tu me fends le cœur » est une belle manière d’entrer dans la miséricorde pour aimer à la hauteur de Dieu.
Que la Vierge Marie nous aide à entendre cette parole et à la mettre en pratique. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à reconnaître ce qui n’est pas digne de Dieu, ce qui n’est pas digne de nous pour que nous puissions accueillir la miséricorde. Consolatrice des affligés qu’elle ouvre nos cœurs à la souffrance de ceux qui ont besoin de nous pour que nous puissions vivre la miséricorde. Mère de Miséricorde, qu’elle nous entraîne dans le souffle de l’Amour divin pour que la miséricorde puisse s’étendre jusqu’aux extrémités de la terre, et nous conduire à la demeure éternelle où Dieu sera tout en tous, dans les siècles des siècles.