Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 13:55

6TOC

6° Dimanche du Temps Ordinaire - Année C

 

Il y a deux versions des Béatitudes. L’une, rapportée par saint Matthieu, est plus développée, c’est généralement celle que l’on retient ; l’autre, rapportée par saint Luc – c’est l’évangile que nous venons d’entendre – est plus ramassée, plus piquante aussi, puisqu’elle comporte des malédictions qui viennent renforcer le contraste des bénédictions. Comme en témoigne la première lecture, c’est une figure relativement courante dans la Bible que de promouvoir une attitude en maudissant son contraire. Ainsi se trouvent opposés deux styles de vie, selon que l’on préfère la chair où l’esprit, le présent ou le futur, le monde ou Dieu. 

Cela peut nous paraître difficile à entendre, tant nous vivons dans une culture structurée par le matérialisme et l’immédiateté. Je sais bien qu’on a reproché à la religion d’être l’opium du peuple, et qu’en réaction à des discours méprisant l’urgent au nom de l’important, certains préfèrent « un tiens » à « deux tu l’auras ». Pourtant, sans nier qu’il y a un choix radical à faire entre Dieu et le monde, il ne faut pas exagérer l’opposition de l’un et de l’autre. Toutes les béatitudes (et les malédictions) n’opposent pas futur et présent : la première est au présent, la dernière s’appuie sur le passé. Et dans l’oracle de Jérémie, on peut se demander si le problème n’est pas tant de s’appuyer sur un être de chair, que d’avoir un cœur qui se détourne du Seigneur. C’est peut-être saint Paul qui nous donne la clé de l’enseignement : « si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes ».

Nous ne pouvons pas éviter notre condition humaine : nous sommes dans le monde et nous ne pouvons pas y échapper. Mais cela ne veut pas dire que nous devions nous soumettre à sa mesure. Le Christ, dès le mystère de Noël, nous révèle que nous sommes faits pour vivre à la mesure de Dieu. Ainsi le monde doit nous conduire à Dieu, alors que souvent nous attendons de Dieu qu’il nous conforte dans le monde.

Vivre à la mesure du monde, ça peut être rechercher le confort et la sécurité dans les biens matériels, trouver sa consolation dans ce qui passe et qui s’use. On choisit un métier en fonction de ce qu’il rapporte, on admire ceux qui ont ce qu’on n’aura jamais et l’on ne donne que ce qui ne peut plus nous servir. Quand on prie, c’est pour demander ce qui nous manque et l’on prend le Seigneur pour le Père Noël ou le génie de la lampe. Mais vivre à la mesure de Dieu, c’est s’appuyer sur ce qui demeure, s’attacher aux valeurs plutôt qu’aux biens, chercher à être plutôt que d’avoir. Vivre à la mesure de Dieu, c’est s’entraîner au mystère de Pâques et se préparer à la simplicité de l’éternité. 

La mesure du monde, ça peut être aussi l’honneur, ou l’image qu’on se fait de soi-même. On s’efforce de correspondre à l’idéal qu’on imagine en se glorifiant de ce qu’on a décidé, en méprisant ce qui nous humilie. Selon l’histoire de chacun et son tempérament, on peut vivre alors dans la satisfaction narcissique de l’insouciant ou dans la quête désespérée d’un horizon qui s’éloigne sans cesse. Dieu est alors pour nous un miroir dont on se congratule, ou un coach moral qui doit nous aider à devenir parfait. Mais vivre à la mesure de Dieu, c’est se savoir pécheur pardonné, aimé et envoyé – sans désespérer de nos faiblesses, sans se gonfler de nos forces. Vivre à la mesure de Dieu, c’est assumer notre dignité dans l’humilité de l’espérance, dans la générosité de la charité.

La mesure du monde, ça peut être encore la réputation, ou ce que les autres disent de nous. Agir en fonction de l’opinion de ceux qui nous entourent, faire ce qui plaira au plus grand nombre, ou ce qui se remarquera le mieux. On s’efforce alors de suivre les modes et de penser comme on nous dit de le faire, et pour les caractères les plus affirmés, on cherchera à avoir de l’influence et à trouver des imitateurs. On s’attache à la religion, autant qu’elle peut servir, Dieu devenant une carte de visite ou une bannière pour se situer là où l’on veut être. Mais vivre à la mesure de Dieu, c’est préférer son regard et sa volonté, partager sa joie quand sa parole est accueillie, partager sa patience douce et triste devant le péché. Vivre à la mesure de Dieu, c’est déployer la liberté qu’il nous a confiée pour que nous puissions aimer toujours mieux. 

Que la Vierge Marie nous aide à accueillir la Parole qui nous invite à vivre à la mesure de Dieu. Trône de la Sagesse qu’elle nous apprenne à chercher le Royaume plutôt que des consolations fragiles ; Miroir de la sainteté de Dieu qu’elle nous fasse découvrir l’Amour qui compte sur nous ; Etoile du matin qu’elle garde nos vies fixées sur l’Evangile, pour que nous puissions demeurer en Dieu, comme il demeure en nous, dès maintenant et pour les siècles des siècles. 

Partager cet article
Repost0

commentaires