Le mystère de la Croix
Fête de la Croix Glorieuse
Il y a quelques années, préparant les fêtes de Noël avec un groupe de jeunes louveteaux romains dont j'étais l'aumônier, nous essayions de voir quel cadeau nous aurions pu donner à Jésus si nous avions été les bergers ou les mages. Chacun y allait de ses idées quand l'un d’eux dit : « on pourrait lui offrir une croix » mais aussitôt un autre répliqua horrifié : « on ne va pas donner un signe de mort à un bébé qui vient de naître ! » Ce fut l'occasion d'une belle catéchèse et je me disais en moi même que le mystère de la croix était décidément bien puissant ! Parce que, avant d'être un bijou ou un objet de décoration, la croix est d'abord un mystère, un paradoxe.
C'est le paradoxe du pardon comme le serpent de bronze dans le désert. Je ne sais pas si vous avez vraiment mesuré la violence des récriminations du peuple. « Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable disent-ils ! » Vous savez bien de quelle nourriture ils parlent ! C'est la manne, le pain venu du ciel qu'ils traitent de « misérable » ! Donc fatalement, puisqu'ils sont dégoutés du don de Dieu, les voilà aux mains du péché, à la merci des serpents ! Et Dieu va pardonner et sauver. Comment ? Juste en regardant un serpent de bronze. Le signe de la punition est devenu le signe du salut ... C'est ça le paradoxe du pardon : la malédiction qui devient bénédiction, la croix qui devient signe du salut.
C'est aussi le paradoxe du sacrifice. Parce que sur la croix, c'est Dieu lui même qui se donne. Celui qui supporte le poids de la mort et du péché c'est Dieu ! Pour comprendre ce qui se joue sur la croix, on peut raconter une petite parabole. Un homme était tombé au fond d'un puits profond d’où il ne pouvait sortir et qui était trop loin de tout pour qu’on puisse y apporter une corde ou une échelle. Viennent à passer les différents maîtres spirituels de l’humanité. L’un lui dit « tu n’avais qu’à observer les commandements », l’autre « il fallait garder l’équilibre », un autre encore « tout n’est qu’illusion, rentre en toi même et tu seras libre », le dernier lui dit « Dieu l’a voulu, il faut que tu restes là ». Mais voilà que Jésus passe. Il descend dans le puits et le fait monter sur ses épaules pour qu’il puisse sortir, et c’est lui reste au fond ! C’est bien ça l’image du salut : le Seigneur qui se sacrifie pour nous, lui qui accepte de mourir pour que nous puissions vivre, et c’est ce que nous rappelle la croix.
Enfin la croix est le paradoxe de la miséricorde accueillie dans la foi. Imaginons un guerrier en pleine rage destructrice qui arrive devant un bébé, un nouveau né qui sourit dans son berceau … Que va-t-il faire ? Continuer son œuvre de destruction ou se laisser désarmer pour prendre l’enfant dans ses bras ? C’est bien à cette dernière attitude que nous sommes invités devant la croix : nous laisser désarmer par Dieu qui s’est livré pour nous et lui faire confiance en l’imitant. Dans la vie, il arrive que les gestes qui sauvent ne soient pas les gestes spontanés : quand on est essoufflé après avoir couru, on a tendance à inspirer alors qu’il faut souffler. Quand dans un coup de vent un bateau prend trop de gite, on a tendance à tirer la barre alors qu’il faut la pousser … et bien dans la vie spirituelle c’est la même chose. On a tendance à croire que pour être heureux il faut prendre et accumuler le plus possible ; le mystère de la croix nous apprend qu’il faut donner avec générosité. Quand on est blessé par un conflit, on a tendance à croire qu’il faut se venger ; le mystère de la croix nous apprend qu’il faut pardonner. Quand on est en difficulté, balloté par les contrariétés, on a tendance à croire qu’il faut se renfermer et se durcir ; mais le fils de l’homme élevé sur la croix nous indique le salut est dans la foi : s’ouvrir à l’action de Dieu et lui faire confiance. En cette fête de la Croix glorieuse accepterons-nous de nous laisser guider par celle-ci, et d’abandonner nos réflexes de survie pour accueillir le salut par la foi, même si cela doit nous conduire au paradoxe du pardon, du sacrifice et de la miséricorde.
Que la Vierge Marie nous aide à laisser resplendir en nous le mystère de la Croix. Elle qui se tenait debout au pied de la croix, qu’elle viennent tourner nos regards vers Jésus qui se donne pour nous. Elle qui dans le silence du grand samedi demeure la Vierge fidèle, qu’elle nous garde ferme dans l’espérance. Elle qui laissa son cœur être transpercé par le glaive de la souffrance, qu’elle nous protège des tentations de l’orgueil pour nous laisser transformer par la miséricorde et obtenir la vie éternelle dès maintenant et pour les siècles des siècles.